KING KONG épisode 1 : L'avant Ray Harryhausen

Le personnage de King Kong (que nous appellerons ici Kong la plupart du temps) est aujourd'hui une figure connue de tous. En effet, qui de nos jours ne reconnaîtrait pas instinctivement cette image d'un singe géant frappant son torse de ses poings en trônant sur l'Empire State Building? Cette vision, nous la devons au premier métrage mettant en scène cette créature atypique : le King Kong de 1933.
Ce gorille aux dimensions titanesques fait aujourd'hui partie de la culture populaire, il est à la fois une figure monstrueuse et terriblement tragique que tout le monde connaît de près ou de loin, sans même avoir vu les films dans lesquels on le retrouve. L'oeuvre du duo de cinéastes Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper fut, lors de sa sortie, une révolution sans précédents qui influencera un nombre considérable d'artistes par la suite.


Avant d'entrer dans le vif du sujet, évoquons brièvement sur ce que nous propose le récit. Les grandes lignes de l'histoire étant connues de tous, je ne me retiendrai pas de révéler l'intrigue du film, soyez prévenus !
Durant la crise économique américaine, le réalisateur Carl Denham se rend en Malaisie avec sa vedette, Ann Darrow, et son équipe technique à bord d'un bateau afin de tourner un film. Ces derniers se rendent sur une île mystérieuse ne figurant sur aucune carte et inconnue de l’homme à ce jour : Skull Island. Sur place se trouve une gigantesque muraille gardant une jungle à la faune hostile venant d'un autre temps. Une gigantesque créature semble régner en maître sur cette île...


Le film de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack est une oeuvre extrêmement importante pour l’histoire du cinéma, et cela à plusieurs niveaux. Ce pourquoi King Kong est aussi célèbre, c'est avant tout pour sa réussite technique et le prestige des effets spéciaux qu'il propose. Il s'agit de l'un des premiers films (du moins l'oeuvre la plus emblématique) ayant montré frontalement une confrontation entre des monstres gigantesques et l’homme. Il s'agit bien entendu d'un procédé de stop-motion qui est ici brillamment utilisé, afin de donner vie à tout le bestiaire préhistorique de Skull Island, et donc, de Kong. Les environnements et les créatures de l'île bénéficient d'un soin minutieux pour obtenir un rendu vivant et terrifiant. Le résultat est toujours aussi bluffant aujourd'hui (près de 90 ans plus tard, il est bon de le rappeler), d'autant qu'il s'agit d'une technique nouvelle dans les années 30 ou du moins qui n'a jamais offert un défi aussi élevé.
Nous devons ce travail exceptionnel à Willis O'Brien, véritable légende dans le domaine qui nous offre ici l'oeuvre de sa vie. Les techniques pour intégrer des êtres humains et les créatures dans la même image sont nombreux. Pour prendre un exemple parmi d'autres, la plupart des séquences en stop motion étaient pré-filmées, puis ajoutées sur un écran derrière les acteurs afin de simuler une cohabitation de ceux-ci dans l'espace, le procédé reste toujours bluffant aujourd'hui. La supercherie est parfois visible du fait que nous arrivons à visualiser les poils de Kong bouger à cause des doigts des animateurs, obligés de systématiquement toucher la marionnette. Mais force est de constater que cela renforce paradoxalement l'existence physique de la créature dans la diégèse du film et offre un certain charme malgré tout. C'est d'ailleurs King Kong qui poussera un jeune Ray Harryhausen, alors âgé de 13 ans à la sortie du film, à se tourner vers le stop motion et le monde des effets spéciaux. Ce dernier deviendra la référence dans ce domaine pour absolument l'entièreté des générations et artistes à venir dans ce domaine précis. Ce long-métrage de 1933 est donc peut-être, quelque part, la point de départ de tout le monde des effets spéciaux tel que nous le connaissons aujourd'hui, ce qui n'est pas rien, vous en conviendrez.


Concernant l'aspect scénaristique, il faut faire abstraction de la figure de Kong telle que nous la connaissons aujourd'hui, si nous voulons en saisir la subtilité. Imaginez-vous durant les années 1930, pénétrer dans une salle obscure afin d'y découvrir cette oeuvre si particulière, sans rien en savoir. Votre mentalité n'est dès lors pas la même, ce singe géant ne peut être identifié que comme le méchant du récit. Il est en effet responsable d'un certain nombre de morts et de la capture d'Ann Darrow. Les affiches du métrage le présentent également en tant que monstre. Kong est brutal, menaçant, agressif et n'obéit qu'à son instinct animal, mais c'est justement là que se situe tout le génie de l'écriture.
Lors de la scène finale (la plus connue) sur l'Empire State Building, le gorille géant se fait tirer dessus par des avions et touche alors ses blessures, semblant d'un seul coup réaliser ce qui l'attend. Dès cet instant, le public remet en question les agissements de l’homme. L'animal ne mérite pas de mourir pour avoir simplement agi par instinct. C'est bien l’homme qui a pénétré et profané son habitat tout en le capturant avec violence, le faisant prisonnier à mille lieues de chez lui. Kong était un roi sur son île, divinisé par les indigènes locaux. L'être humain n'accepte pas qu'un élément lui soit supérieur et décide donc de prouver sa supériorité sur la nature (rappelant l'éternel combat personnel et pourtant injustifié de l’homme envers celle-ci). Le gorille tentera tant bien que mal de fuir sur le building, espérant retrouver sa place en hauteur, mais l’homme l'en fera descendre de la plus violente des manières, n'acceptant pas une quelconque domination. Il est dès lors évident que c'est cette qualité d'écriture qui fera de Kong une figure plus tragique et triste que mauvaise dans l'inconscient collectif.


Kong meurt pour son statut d'animal et pour sa curiosité à avoir voulu s'intéresser aux éléments extérieurs à son environnement (en l'occurrence Ann Darrow). Les personnages humains que nous seront menés à suivre sont tous (volontairement) manichéens, à l'exceptions de Miss Darrow et de Carl Denham. Ce dernier est justement un subtil moyen de dénoncer, encore une fois, l'égoïsme et l'auto-centrisme profond de l’homme. C'est bien lui qui mettra en péril tout le groupe sur Skull Island pour son propre profit et décidera ensuite d'exploiter Kong comme « la huitième merveille du monde" une fois rentré à New-York (Il est d'ailleurs "intéressant" de noter le fait que ce film fut paradoxalement le préféré d'un certain Adolf Hitler). Le long-métrage nous expose de cette manière comment un seul homme peut à lui seul détruire l'existence et les fondamentaux humains pour son propre intérêt.


Le film sera un immense succès critique (malgré des problèmes de censure conséquents) et économique. Pour anecdote, Ernest B. Schoedsack réutilisera les décors de ce métrage pour Les Chasses du comte Zaroff qu'il réalisera (et que je vous conseille grandement). Le cinéaste réalisera également une suite à King Kong intitulée Le Fils de Kong qui est totalement inutile, mais reste regardable.
Le King Kong de 1933 est un chef-d'oeuvre. Il aura révolutionné le cinéma par sa technique, la maîtrise de son sujet et ses concepts, d'autant qu'il reste parfaitement regardable encore aujourd'hui. D'autant qu'il ne s'agit pas d'une adaptation, Kong est une pure création de cinéma. Nombre de séquences sont aujourd'hui cultes et figurent parmi les plus impressionnantes des années 1930 (le combat entre Kong et le Tyrannosaure, notamment). Il ne fait aucun doute que Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, accompagnés par William O'Brien pour les effets spéciaux, ont pondu l'une des oeuvres les plus importantes de l’histoire du cinéma. Celle-ci continue de fasciner génération après génération et en laissera bouche-bée plus d'un par la perfection minutieuse de ses visuels et ses monstres. King Kong fascinera énormément d'artistes en tout genre et est aujourd'hui une figure centrale de la culture populaire.


Le film connaîtra deux remakes, en 1976 par John Guillermin et en 2005 par Peter Jackson, sur lesquels nous reviendrons bientôt...

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