La fin des années 60 est décidément une période d’ébullition. Alors que l’abolition du Code Hays va permettre aux cinéastes de sortir du cadre en matière de sexe et de violence, ces innovations s’accompagnent aussi d’un renouveau formel important. En 1968, deux films s’emparent ainsi d’une technique qui n’est pas nouvelle, mais qu’on va utiliser désormais à des fins stylistiques, le split-screen : L’affaire Thomas Crown et L’Etrangleur de Boston de Richard Fleischer.


Chez Norman Jewison, c’est dans une perspective avant tout jubilatoire que s’exploite cette originalité : il s’agit de montrer l’omniscience et la puissance du riche cambrioleur, un Steve McQueen aux commandes de tout ce qui peut l’être : les véhicules (sur terre et dans les airs), mais aussi les opérations les plus retorses, du cambriolage des banques à celui d’un cœur dur à vaincre. Lorsqu’on lui fait remarquer qu’il n’a pas besoin de et argent, il se contente de répondre, en toute modestie :



There’s me -and the system.



La multiplicité des images permet ainsi de le magnifier en chef d’orchestre, synchronisant les actions de ses employés qui par ailleurs ne se connaissent pas entre eux et ne l’ont jamais vu. C’est aussi, lors d’une partie de polo à sa gloire, un feu d’artifice formel où le montage syncopé, les flous et les ralentis ajoutent à cette démonstration visuelle ostentatoire.


Jewison ne s’en cache pas : la forme l’emporte clairement dans ce film, et s’accorde au panache avec lequel son héros éponyme désire accomplir ses forfaits.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit : la moindre des scènes est soumise à un double jeu, une partie de poker où il s’agit non pas de tromper l’autre, mais plutôt d’anticiper le coup qu’il aura forcément d’avance. Cette malice excède le clinquant du split-screen : un panoramique à 360° permet ainsi, dans le cimetière, une livraison d’un magot dans une douceur assez virtuose.


Mais le film ne serait pas complet sans l’autre étincelle nécessaire au brasier : la femme.
Faye Dunaway encore radieuse de son rôle d’amante criminelle dans Bonnie & Clyde passe du côté réglo de la loi pour former un couple d’anthologie avec son partenaire. Faux semblants, jeu de séduction et de manipulation permettent de singulièrement pimenter cette histoire pour le moins éculée de gendarmes et voleurs. Du plus long baiser de l’histoire pour l’époque à une partie on ne peut plus tendancieuse d’échecs, Jewison poursuit la malice par une partition plus lente et sensuelle qui a le mérite de donner le change au rôle de potiche traditionnellement dévolu à la femme. Une déclaration d’amour en forme d’impasse qui pourrait se résumer dans la synthèse parfaite que McQueen formule ainsi, et qui pourrait presque évoquer le film lui-même :



“There’s no way out. You've done too good a job.”


Sergent_Pepper
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le 8 nov. 2016

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Sergent_Pepper

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