Après « Le Labyrinthe de Pan » et « Pacific Rim », le cinéphile Guillermo Del Toro revient nous plonger dans une romance des plus singulières. Sans trop s’éloigner du matériel qu’il a disposé ces dernières années, il parvient à redorer son étendard, orné d’un fond et d’un propos sombre et poétique. Toutes les valeurs qui se dégagent de l’œuvre reprennent de simples notions. La différence est autant un sujet revisité que recyclé, mais il reste toujours des moments où l’on ne piétine pas le message qu’elle est censée transmettre. On arrive à un stade où le réalisateur prend conscience de l’engagement envers un public plus adulte et il s’engage à écrire un discours à leur hauteur, tout en préservant son lyrisme au montage.


Ancré dans l’univers des années 60, la tension géopolitique entre les États-Unis et l’Union Soviétique couvre un arrière-plan, destiné à intégrer des moments forts du cinéma et on ne se prive pas d’émietter de généreuses références. Del Toto entremêle alors ce conflit avec son adoration pour une famille de monstre, dont l’humanité et la protection sont discutées. Elisa Esposito (Sally Hawkins), chargée du nettoyage dans un laboratoire tenue secret, fait la rencontre inattendue avec un être spécial, une créature aquatique. Les deux tissent une complicité très forte, où la première voit son reflet en l’autre. Mutuellement, il y a quelque chose qui complète leur vie, soit vide de sens et d’émotions, soit vide de liberté et d’évolution. Il n’est pas surprenant d’apprendre qu’un amour puisse naître de cette relation, mais le réalisateur penche pour la surprise et il rempli le récit d’un ton très féérique, malgré bien des aspects qui dictent le contraire.


L’intrigue propose une nette ambition dans l’effort mais puisse dans une lenteur parfois poussive et c’est à cet instant que la magie rompt avec l’imaginaire. L’amour est ici une métaphore de l’eau, élément pur, discret et indomptable. Elle ne repose que sur le reflet et l’interaction avec son environnement. Seule contre tous, ce sentiment se transpose ici alors que la différence vient bousculer les regards extérieurs. Le handicap d’Elisa ne fait pas d’elle une personne mal intentionnée. Elle a beau désiré l’égalité, elle se bat pour ses convictions et ses croyances. Tout comme Giles (Richard Jenkins), chacun refoule son identité afin de mieux s’intégrer. Or, cela n’aura que pour effet de renforcer cette barrière qui les empêche de voir leur avenir.


Et pendant tout le visionnage, on découvre des enjeux où Richard Strickland (Michael Shannon), le responsable des recherches sur la créature, installe une adversité. Bien que le personnage flirte avec une caricature presque manichéenne sans jamais y sombrer, on en vient à étudier toute la valeur d’un homme et la définition de l’humanité. D’un côté, l’observation est touchante et tendre, alors que du côté de Strickland, on assiste à une rage, converti en une forme de domination qu’il tend désespérément d’entretenir. Elisa n’illustre en rien l’archétype d’une princesse séduite par la beauté de son bien-aimé et c’est cette forme d’humanité que l’agent fédéral souhaite écraser. A la fois une forme de jalousie et de contrôle, le fait de devoir s’émanciper le trouble et le contraint à agir en conséquence.


Certainement le long-métrage le plus accessible et le plus universel de la filmographie de Del Toro, « La Forme de l’Eau – The Shape Of Water » rebondit sur la tendresse d’une relation unique. La femme et le monstre unissent tous les êtres dans une démarche qui extrapole davantage la notion de solidarité et d’amitié qu’une romance aveugle. Alexandre Desplat ajoute un sentiment de tendresse, mais certaines scènes perdent en émotions et n’atteignent pas le spectateur en plein cœur. Le choix de mise en scène impact énormément sur le caractère inerte observé, mais rien n’empêche de capter chaque moment avec une narration très poétique. La personnalité du monstre est aussi fluide que l’eau qui le tient en vie, et malgré que l’on néglige souvent sa présence comme moteur émotionnel, on peut déduire que son identité est comme une forme qui s’adapte à son entourage. On peut le voir difforme, on peut le voir comme il est ou on peut le voir pour ce qu’il peut être. Conformément au titre, l’essentiel ne réside pas dans la forme, mais le fond et on le voit à travers la gestuelle et le regard des protagonistes qui n’ont pas besoin de plus pour se faire entendre et aimer en retour.

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le 29 janv. 2018

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