D'habitude, la maestria formelle suffit à me rendre heureuse. Mais là, pas du tout. Essayons d'analyser un peu cette étrangeté. D'abord, il faut reconnaître que les artisans qui ont bossé sur ce machin boursouflé ne sont pas manchots : costumes, décors, lumières, cadrages, tout est au top. Ce qui expliquerait à soi seul le nombre record de nominations aux Oscars pour un navet... Face à cette indéniable maîtrise des corps de métier, reste un scénario parfaitement niais, qui sape tout bonnement n'importe quelle tentative de faire de ce conte niaiseux et mièvre une histoire susceptible d'éveiller un quelconque intérêt. Je précise malgré tout que les gens (presque tous d'un certain âge) qui sont sortis de la salle en même temps que moi se disaient satisfaits, voire emballés. Je suis seule contre tous mais je vais tenter de me justifier un peu... Allons au fait : une créature qu'on croirait sortie d'un film des années 50 ( le fils naturel de Swamp Thing et du prince Namor - ça tombe bien, c'est un film en costumes où les méchants roulent en Cadillac) étire sa longue silhouette écaillée dans le bassin nauséabond d'un laboratoire américain où elle doit servir de cobaye. Eh oui, il s'agit de faire la nique aux russes, et c'est l'occasion de brocarder un peu la guéguerre débile qui n'a intéressé que les déficients mentaux et les psychopathes ('il ne s'agit pas d'apprendre des trucs, il suffit d'empêcher les amerloques de le faire'... qu'est-ce qu'on rigole!). Pendant qu'on y est, et puisque le recul historique nous permet de nous gausser des neuneus du passé, épinglons également les homophobes et les racistes, comme ça, ça fera croire qu'il y a un substrat d'activisme politique dans cette bleuette au demeurant bien anodine. Genre : paf, Trump, prends ça dans les dents de ton électorat bloqué dans les 30 glorieuses ! Sur le papier, ça pourrait effectivement passer pour de petits coups de griffe bien sentis (et amplement mérités) à une société américaine qui semble avoir déterré ses vieux démons avec une délectation non feinte. Dans les faits, nous voilà nous, public européen, obligés de subir les petites morales surannées d'une fabulette bienpensante qu'on croirait adaptée de la bibliothèque rose. Alors, oui, bien sûr, les critiques ébahis n'auront pas manqué de souligner le politiquement incorrect de cette 'princesse sans voix' qui commence ses journées par se tripoter dans son bain, mais, euh, comment dire... ici, dans la patrie du Marquis de Sade et des films avec Gérard Deparieu à poil à tout bout de champ, c'est un peu la quatrième de couverture d'une aventure de Babar. Mais une princesse reste une princesse, et rien que ça, ça daube un max le réactionnaire à la naphtaline. Alors, évidemment, le prince charmant porte crête et écailles, et la considère entre deux battements candides de sa troisième paupière et ça, ça détonne un peu. En prime, elle consomme dans ses bras sa passion déviante ! Ouh la la ! Mais même, c'est horriblement mièvre, d'un romantisme parfaitement horripilant, que même la décapitation du chat ne vient pas écorner ni réhabiliter, tant elle est bien vite effacée par un discours lénifiant qu'on jurerait sorti d'un traité XVIIème siècle sur les bons sauvages. Ce qui nous amène au talon d'Achille de Del Toro : son usage déconcertant d'une violence complaisante et franchement régressive. Le Labyrinthe de Pan m'avait déjà laissée sur la touche, avec son mélange de conte de fées et de sadisme inquiétant. Il nous refait le coup ici, mais on le voyait venir, ce qui dégoupille complètement ses effets de montagnes russes et les relègue au rang de gimmick de l'adolescent qui tente de choquer ses parents en mangeant ses crottes de nez. J'ai étouffé un bâillement en attendant que la chair se déchire dans des bruits de succion désolants et ai subi le reste d'une histoire cousue de fils blancs jusqu'à la belle image finale, qu'on connaissait déjà, puisqu'elle constitue la jolie affiche du film. Et c'est finalement le plus gros problème de toute cette construction hyperbolique aux fondations de vent : les deux heures de film n'apportent strictement rien à ce que le marketing nous a collé sous le nez. Honnêtement, une fois que vous avez vu la bande annonce, vous pouvez tout à fait prévoir scène par scène ce qui va arriver dans le reste de l'histoire... jusqu'à un dénouement si prévisible que le son de ma main s'écrasant sur mon visage a retenti dans toute la salle. Reste à vitupérer contre le méchant d'opérette, que rien de vient tempérer et qui se vautre avec bonheur dans la caricature du méchant-type, qu'on doit jubiler de voir mourir à la fin, dans un gargouillis répugnant. Sérieux. Tout ça pour ça.

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le 9 avr. 2018

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