Pour une mobilisation générale des superpuissances

À bien considérer La Grande Muraille on y décèle derrière moult fortifications et meurtrières des entrailles plus politiques que véritablement cinématographiques, soit le projet d’un blockbuster américano-chinois qui mêlerait aux traditions chinoises la machinerie idéologique de l’Oncle Sam basée sur l’éloge improbable du courage et de la confiance du soldat dans le corps qui le définit, par-delà les velléités individuelles. Pourtant, le film de Yimou atteste une bâtardise qui présente ce mélange culturel comme imparfait, sinon impossible : le héros américain a beau se couvrir du sang vert de l’ennemi commun, il reste ce glorieux solitaire qui reprend la route avec témérité, de la même façon qu’il est arrivé. Se rencontrent donc une identité de camaraderie – dans la ligne directe de la mentalité du soldat US qui oppose toujours au sérieux qu’il combat son sens de la foi et de l’humour – et une identité de corps dans laquelle fondent les particularismes, un fantasme maoïste en somme. Car que nous dit une telle alliance, sinon que l’union entre les deux puissances triomphera de tout ennemi qui s’aventurerait trop près de leur territoire ?


Discutable sur le plan politique, La Grande Muraille n’en reste pas moins efficace dans ses scènes de batailles toutes plus impressionnantes les unes que les autres, à commencer par celle qui ouvre le film et scelle à la cause chinoise le destin de nos deux Américains. Les effets visuels s’avèrent pour la plupart de qualité et bénéficient du talent de Zhang Yimou en matière d’orchestration et de découpage du spectaculaire : l’action demeure lisible et fait preuve d’une générosité de chaque instant qui régale l’appétit du spectateur habitué à la bouillie numérique des super-héros en collants. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de trouver ces bastons quelque peu conventionnelles dans la représentation de la mythologie chinoise : au fond, nulle vraie différence entre une Lin Mae et une Wonder Woman… La musique tonitruante de Ramin Djawadi, à l’épique grandiose, écrase souvent les scènes qu’elle habille et rapproche encore l’univers du blockbuster américain des films d’arts martiaux et d’histoires légendaires asiatiques.


En résulte un divertissement réalisé avec soin mais malheureusement miné de l’intérieur par de bien faibles dialogues, une production qui croise deux idéologies pour n’aboutir qu’au gommage de leurs singularités, un appel à l’alliance militaire des superpuissances qui annihile la profondeur émotionnelle des personnages qui la portent.

Créée

le 26 janv. 2020

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