La Princesse et la Grenouille
6.4
La Princesse et la Grenouille

Long-métrage d'animation de John Musker et Ron Clements (2009)

Jeune serveuse à la Nouvelle-Orléans, Tiana rêve de pouvoir un jour monter son restaurant. Le problème, c’est que le milieu social dont elle vient ne lui autorise pas à concrétiser son rêve… Cela ne l’empêche pas d’aller à la fête organisée par sa richissime amie Charlotte. C’est là qu’elle rencontre, comme dans ses histoires d’enfance, une grenouille. Mais cette grenouille n’est autre que le séduisant et orgueilleux prince Naveen, réduit à sa condition présente par un maléfique sorcier vaudou, le Dr. Facilier. Afin de le délivrer de son sort, Tiana l’embrasse, mais, comble du malheur, c’est elle qui se voit transformer en grenouille. Les deux compètes d’infortune partent alors à la recherche de la sorcière qui pourra les délivrer de leur sort…


Les meilleures promesses sont celles que l’on ne tient pas, c’est bien connu. On ne sait si c’est un raisonnement similaire qui poussa John Lasseter, alors nouveau directeur du département animation de Disney, à faire appel aux vétérans John Musker et Ron Clements, qui connurent leur heure de gloire 15 ans auparavant (Basil, détective privé, La Petite Sirène, Aladdin), mais le fait est que pour satisfaire à leurs besoins, on rouvrit la branche d’animation 2D des studios Disney. Ne serait-ce que pour cela, on ne peut pas ne pas aimer La Princesse et la grenouille. L’ironie du sort voudra d'ailleurs que ce soit un des plus grands fossoyeurs de l’animation traditionnelle qui la ressuscita (trop) provisoirement…
Quoiqu’il en soit, on goûte avec un plaisir non dissimulé ce retour aux sources que nous propose La Princesse et la grenouille. Il faut dire que les animateurs Disney se sont surpassés pour nous offrir ce film d’animation aux graphismes doux et enchanteurs, tous droits sortis de Bambi et de La Belle et le clochard, influences directement convoquées par Musker et Clements dans le but de renouer avec la beauté visuelle des Disney les plus accomplis. Et indéniablement, le résultat est une vraie réussite. Si les graphismes sont inégaux d’un personnage à l’autre, la somptuosité des décors et le travail hallucinant sur les éclairages et les jeux de couleurs convainquent que parler de « résurrection » n’est pas un vain mot pour qualifier cette sortie du cercueil d’une animation que l’on croyait enterrée pour de bon. Dans leur volonté d’allier la modernité et la tradition, Musker et Clements aboutissent à un excellent résultat. Du moins sur le plan graphique…


Car malheureusement, le reste ne suit pas. Cet alliage entre le neuf et l’ancien qui nous offre un si beau film d’animation, les deux réalisateurs et scénaristes cherchent à l’employer dans leur scénario, et c’est là que le bât commence à blesser. Nous proposer une relecture des contes de fées dans la Nouvelle-Orléans, pourquoi pas ? Mais c’est sans compter sur la pénible tendance des deux réalisateurs à frôler constamment l’excès, parfois pour le meilleur (Aladdin), parfois pour le pire (Hercule). Ici, l’excès se manifeste par un humour qui tombe à plat à force de se vouloir décalé avec une constance qui forcerait l’admiration s’il n’en devenait aussi pénible. Dès lors, les tentatives de blagues peinent à arracher le moindre sourire, quand on ne bascule pas dans le plus franc mauvais goût, tant les scénaristes se forcent constamment pour essayer de nous faire rire. Par le biais de cet humour qui, à force de se vouloir drôle, ne l’est plus, l’excès se propage à plusieurs niveaux du film, dont l’écriture des personnages…
Si la recette a déjà fait ses preuves, quand on appuie un scénario sur la collaboration forcée de deux personnages qui ne peuvent se supporter, il faut faire preuve de nuances, et c’est ce dont manquent les deux réalisateurs. Ainsi, chaque personnage paraîtra d’une étonnante unilatéralité, le prince se réduisant à un vantard orgueilleux tandis que Tiana est l’obstinée aveuglée par ses rêves. Personnages à fort potentiel, dira-t-on et l'on n'aura pas forcément tort, sauf que Musker et Clements s’intéressent visiblement à autre chose qu’à leurs protagonistes et au lieu de faire évoluer leur relation progressivement, Tiana et Naveen passeront directement de l’étape « je ne peux plus te supporter » à l’étape « je ne peux plus me passer de toi », sans transition aucune.
Pendant ce temps, le méchant sorcier vaudou essaye de faire peur sans jamais y arriver, tant il est montré comme n’ayant aucun pouvoir mais étant seulement le relais de forces maléfiques qui l’écrasent. Et au lieu de s’en faire le propagateur puissant et victorieux, comme l’était Maléfique en son temps, le Dr. Facilier n’apparaît jamais plus que comme un pantin entre leurs mains, trop ridicule pour être menaçant mais pas assez pour être drôle.
Et l’on ne s’étendra guère sur les personnages secondaires, trop anecdotiques pour être intéressants : un crocodile qui veut faire du jazz, c’est une idée comme une autre, mais dans ce cas pourquoi ne pas l’exploiter un minimum ? Quant à la luciole doublée par un Anthony Kavanagh qui oublie de prononcer la moitié de ses phrases (rare personnage au graphisme laid du film), c’est au moment où on essaye de nous faire pleurer sur son sort qu’on se rend compte à quel point le personnage est vide. Dès lors, La Princesse et la grenouille apparaît comme une belle tentative de redorer le blason d’une animation traditionnelle en perte de vitesse, mais comme une tentative rendue vaine par le fait que dans cette optique, on a tout misé sur la forme au détriment du fond.


Reste un film pas désagréable, ponctué de quelques belles idées (la luciole amoureuse d’une étoile, les forces maléfiques incarnées par des ombres), aux chansons (signées Randy Newman) peu mémorables mais pas désagréables, qui rappelle malgré lui que faire un chef-d’œuvre en animation n’est pas si facile qu’on le croit… On aura au moins eu un beau film d’animation, à défaut d’avoir un pastiche de contes de fées réussi.
Signalons au passage, à tout hasard, que pour comprendre ce qu’est l’art du pastiche de contes de fées, il existe une merveilleuse saga de BD au scénario relativement proche (en tous cas, sur le pitch de départ) qui réussit partout là où La Princesse et la grenouille échoue : Garulfo.

Tonto
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le 4 sept. 2018

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