Tu te souviens de ce pont, dis, chérie ?

J'expliquais à l'occasion de ma critique du "narcisse noir" que le propre d'un grand film est de réunir le fond et la forme. Cette valse des ombres, sans réfuter ce premier axiome, permet d'en ajouter un deuxième. Le propre d'un grand film est AUSSI de pouvoir présenter des éléments qu'on détesterait habituellement dans une production tout-venant, et en faire quelque chose de prodigieux (c'est aussi le cas, par exemple, de la vie est belle de Capra).

En effet, si je fais le compte, normalement, je déteste: un mélo, la guerre, des amants séparés, un militaire et une danseuse, un pont (le Waterloo Bridge, titre original, lieu de transition entre les époques, les conditions), des scènes de danse aux chandelles, une déchéance, un malentendu... Et pourtant, tout fonctionne si bien ici que je me suis retrouvé avec les yeux embués dès les premières minutes. Ce n'est pas un mince exploit. Comment Mervyn LeRoy est-il parvenu à ce prodige, comment a-t-il pu m'émouvoir à ce point, moi, même, qui ne rechigne pas, parfois, à éructer au doux spectacle d'un match de foot arrosé de bière, dont l'enfance fut abreuvé de musique violente ne faisant pas la part belle au féminisme ? Hein ? Hein ?

Un mot définit cette valse des ombres: l'alchimie. Evidente entre les deux acteurs principaux (Vivien Leigh, Robert Taylor) chez qui on sent une volonté absolue de se séduire mutuellement, dont les yeux pétillent dès qu'ils sont plongés dans ceux de l'autre, dont les comportements transpirent de désirs. Mais l'alchimie déborde de ce couple dans son acception physique: les dialogues, la mise en scène, les rôles secondaires, tout semble organiquement aller dans le même sens.
Ce que disent Myra et Roy est ce qu'exprime leur corps: ils veulent se séduire, puis s'aimer, puis ne rien faire d'autre que de vivre ensemble. Jamais cette volonté absolue ne sera remise en cause, jamais les évènements extérieurs ne viendront travestir cette amour fou.
Une forme de pureté et de beauté sublime et bouleversante.

Pour terminer, un mot sur l'écriture, au diapason du reste.
Lorsque Kitty, l'amie de Myra, décrit le mode de vie qui est le sien depuis quelques années, elle soupire: "je ne sais pas ce qui a pu passer par la tête de la personne qui a qualifié notre vie de facile. Je ne sais pas qui c'était. En tout cas, surement pas une femme..."

Un bijou qui se doit de rejoindre immédiatement mon "top 30 depuis que je suis inscrit sur SensCritique", et en très bonne place.
guyness

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