Dans le Noiret cher, faites l'amour pas la guerre
Et bien chers lecteurs si je suis content de vous retrouver, je dois vous avouer que j'étais sacrément emmerdé lorsque j'ai pris connaissance du second film sélectionné pour notre fameuse coupe tant convoitée. J'allais devoir mettre en avant mon inculture absolue en matière de cinéma Français et totalement me discréditer aux yeux du plus grand nombre d'entre vous. Je me suis donc renseigné sur ce que j'allais devoir regarder pour mener à bien mon projet et la crainte s'est petit à petit estompée pour laisser place à l'impatience d'en découdre avec quelque chose qui m'intriguait au plus au point et dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Forcément c'était plus vendeur de diffuser pour une énième fois les facéties de Louis de Funes dans Le Gendarme à Saint Tropez plutôt que de donner une visibilité à un récit qui pourrait en déranger plus d'un. En sortant de ma séance, j'ai ensuite pensé à plusieurs approches pour illustrer mon avis, cours d'histoire, biographie, longue analyse puis j'ai songé aux multiples variantes du genre à lire et j'ai pensé que d'une part, certains le feraient bien mieux que mieux que moi, et que d'autre part vous alliez peut être finir au fond du trou à force de lire en long et en large en quoi la guerre est ignoble. Je me suis donc dit que le mieux à faire, c'était peut être de ne pas y aller par quatre chemins finalement. Alors je vous le dis, droit dans les yeux, je ne connais pas grand chose à la filmographie de Tavernier, j'ai une image probablement tronquée et simpliste du cinéma français mais une chose est certaine pour moi, ce film est incroyable.
Incroyable car malgré l'amas de films de guerre qui ont inondé nos écrans, du plus patriotique d'entre tous, ( fuck you Michael Bay ), au plus grandiose, ( Kubrick je t'aime ), il réussit à innover. Tout ou presque a pourtant été dit et traité dans les moindres détails et il est de plus en plus difficile pour nous d'être surpris par le sujet, pire même parfois, jusqu'à se montrer blasé par la souffrance accentuée à outrance qui finit par nous sortir du film, dans mon cas personnel Twelve years a slave en est le parfait exemple. Qu'elles soient narrées à travers nos livres d'histoire quand nous étions collégiens, ou animées, c'est malheureux mais elles ne restent que des images et ne peuvent exprimer que de manière superficielle l'étendu de ces 4 années, cependant, Tavernier a pris le problème à l'envers et a réussi là où tant se sont plantés.
En esquivant avec une aisance déconcertante l'écueil du film noyé dans un misérabilisme ambiant pour toucher notre corde sensible, il utilise au contraire son angle particulier qui lui permet de se démarquer de la masse. La vie et rien d'autre, un titre évocateur nous donne en réalité les clés de multiples portes qui vont se dérober sous nos yeux pour laisser parler des portraits divers et variés de personnages en reconstruction deux années après la fin de la première guerre mondiale et à l'heure du bilan.
J'ai toujours pensé que le pouvoir de la suggestion dépassait de loin celui de la démonstration et en ce sens, j'ai littéralement bu les paroles d'un Philipe Noiret saisissant dans le rôle de ce digne commandant ecoeuré par les manigances politiques et les médias qui réduisent une guerre dégoutante et abjecte à quelque chose de plus vendeur pour le public. Pour étayer mon propos, j'ai décidé d'analyser un court moment qui représente à lui seul l'essence même du film. Lors d'une scène particulièrement intense et d'une émotion palpable, Noiret en s'adressant à son interlocutrice évoque avec hargne cette impuissance, cette incapacité à s'exprimer et à être écouté par qui ce ce soit pour évacuer l'horreur vécue et pouvoir enfin passer à autre chose. J'ai trouvé ça tellement plus fort qu'une pléiade de cadavres acheminés souvent placés là pour faire du sensationnel, on ne s'attarde pas une dizaine de minute sur un visage en pleur et on ne joue pas du violon pour expliquer au spectateur qu'il est l'heure de verser quelques larmes. On écoute simplement les confessions d'un homme à l'apparence froide qui en a beaucoup trop vu et qui s'est créée une barrière nécessaire pour survivre, subtilement le mur se fissure un instant, le besoin de se confier devenant vital, paradoxalement aux mots très durs prononcés c'est un beau moment durant lequel on visualise bien plus aisément à quoi ressemblait la vie en temps de guerre.
En dessinant des tableaux représentés par ces deux femmes que tout oppose mais qui une fois les barrières sociales explosées apprennent à se découvrir et à s'apprécier, en utilisant l'humour avec légèreté et finesse dans un contexte qui ne s'y prête pas, ( François Perrot capitaine totalement perdu dans sa quête du soldat inconnu, incapable de trouver le nord et désespéré de ne pouvoir communiquer avec ses consorts, m'a rappelé Michael Caine dans Childrens of Men present pour faire retomber la tension naissante ), en filmant avec tendresse des repas conviviaux nécessaires pour avancer et réapprendre à savourer les petit plaisirs du quotidien. Tavernier loin du pessimisme récurent lorsque ce thème est évoqué s'offre une somptueuse ode à la vie pleine de pudeur et de grâce qui évince l'odeur putride d'une fin de guerre pour laisser place à l'amour dans toute sa splendeur mais tout en retenu, un film bouleversant de réalisme incarné par des comédiens impeccables qui donnent vie à la qualité d'écriture dantesque, une réussite absolue.