Ce film est empreint d'originalité et de classicisme, servi chaud par une brochette d'acteurs cuits au feu de la connaissance après avoir été délicieusement trempés toute une vie dans une marinade de talent, de travail, et de subtilité. L’œuvre derrière un ton classique montre d'une belle nouveauté qui la rende fraiche.


C'est que les films sur la guerre se comptent par centaines : actions, aventure, exploitation, exploration, ex-militaire, militaire au front, biographie (si peu pourtant), comédie, et même films d'horreur (nazi zombis et toutes les variantes d'allemands à croix déjà morts) sans bien sûr oublier les films de propagande de soutient, de mémoire, et tous les films qui n'entrent pas directement dans la guerre mais dépeingent la résistance, le maquis, les réseaux souterrains et même la vie quotidiens des gens, généralement des parisiens, pendant les deux grandes guerres mondiales. Alors pourquoi le film est si différent ?


Parce que tous ces films traitent de la mort des soldats, de la vie qui a repris ses droits après la guerre, des gens qui forniquent dans les champs de blé ou même parfois qui partent pour l'Algérie, mais ici, vingt-cinq ans avant le navet que constitue Monuments Men, Bertrand Tavernier nous centre sur un commandant de l'armée chargé d'inventorier, de gérer, et globalement de s'occuper d'identifier les morts et les traumatisés de la guerre. Dit comme ça c'est pas bien joyeux hein ? et pourtant...


Et pourtant les acteurs, comptant le génial Philippe Noiret, vont transcender l'horreur et la tristesse apparente du film pour en faire un monde ordinaire, peuplé de sa noirceur, de son angoisse, mais aussi de ses rires, de ses joies, de ses peines, affichant un seul mot d'ordre : penser à tous les morts comme à des êtres humains, autrefois vivants de leur identité, et de leur chair, de leur passé, de leur famille, tous égaux devant leur fin, aussi humains et vivants qu'on ne peut l'être en étant mort, bien plus qu'un simple cadavre.


Le travail de deuil aussi est défini ici comme un sacerdoce nécessaire, comme un besoin, une expiation de la vie qui ne doit pas s'enfermer dans la noirceur et ne doit être que temporaire, car seule compte vraiment la vie, mais il est davantage vu comme un besoin égoïste que comme un véritable honneur, comment pleurer un homme quand des milliers d'hommes sont morts et sont perdus, fous et traumatisés dans des hôpitaux.


Mais peu de lyrisme ici, pas de larmes, les larmes se remplacent par le rire, ce rire de l'absurde qui fait quand même sourire quand tout va mal, cet humour pas bien fin servi par des acteurs au dialogue oscillant entre l'élégant et hilarant, bien dit et qui ne revêt que plus d'impact dans la solennité où il est prononcé. La tristesse de l'après-guerre, est dure, maladroite, mauvaise, elle ronge et affame comme une maladie d'après-guerre dont il faut savoir se séparer, soit dans la foi d'une messe, soit dans la musique d'un bal, soit dans un mot de tendresse.


Car tous sont affectés par la guerre et doivent se battre pour la vie comme ils se sont battus contre la mort. Dans la grisaille d'un matin de brouillard, dans la froideur d'une usine désaffectée, partagés entre un respect des morts et le respect des vivants qui continuent à exister. C'est l'espérance qui est saluée ici, la joie de vivre, l'émerveillement à vivre, à ressentir, à manger, à respirer, à danser, à exister, à partager, à jouer, à plaisanter, à ne pas s'enfermer dans un attentisme dépressif.


Car derrière un ton froid et violent, peut se cacher en réalité tout un discours sur la vie, sur l'avenir, sur l'espérance, sur la joie de cet artiste qui s'émerveille d'exister dans une nouvelle renaissance qu'il nomme simplement "résurrection" tant il est réclamé pour les monuments aux morts, et dans cet amour qui se forme, ironiquement ce sont les morts qui ici sont le moteur de la joie et du bonheur, comme quand la nature reprend ses droits, comme le bois brulé sert de fertilisant aux plantes pour repousser après les incendies d'été.


Bref, un grand message d'espérance qui rappelle que tout ce qui compte c'est la vie et rien d'autre.

Crillus
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le 24 mars 2014

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