oct 2011:

J'avais une hâte presque enfantine, de l'ordre de l'impatience d'un gamin devant le glacier qui lui prépare un chocolat liégeois. Un Almodovar, comme pour son alter ego allemand Fassbinder, est pour moi la promesse d'un film chiadé, pensé, filmé avec soin et réflexion. Aussi cela lui confère-t-il cet avant-goût sucré plein de promesses fantastiques.

Et parfois, rarement mais ça peut arriver, le film n'est pas toujours à la hauteur de ces espérances. Cela a été le cas il y a quelques jours avec "Roulette chinoise" de Fassbinder et se réitère sur cette "Piel que habito", dans une moindre mesure néanmoins.

Toujours autant enthousiasmé par la technicité narrative du génial espagnol, je suis un peu moins charmé par les personnages que je n'ai pas trouvé aussi profonds que je l'espérais. Non pas qu'ils soient inintéressants, le cheminement de certains étant particulièrement intrigant, mais, justement, sans inviter à une réflexion sensible -si ce n 'est peut-être sur l'identité sexuelle, problématique chère au cinéaste- ils servent avant tout une intrigue à grand suspense.

Comme dans certains films d'Hitchcock, le fil du récit est cousu de telle manière que le spectateur est happé par l'évolution des personnages et des situations, avide de connaitre le fin mot de l'histoire. Comment cela va-t-il bien pouvoir se finir? C'est là l'essentiel du film : un thriller haletant dont l'issue reste malicieusement incertaine. Certes, on peut la voir venir mais la tenue du récit fait une nouvelle fois merveille et comble la moindre interstice. Almodovar tisse sa toile d'araignée aux filaments extrêmement résistants.

On est comme subjugué par sa capacité de présenter une histoire aussi lisible, limpide, d'une netteté tellement agréable, alors qu'il use de multiples flash-backs et réussit à ajouter des sketchs hilarants mais foutrement casse-gueules. Je pense ici bien entendu au "Tigre" (Roberto Álamo), espèce de masse violente et hâlé, irruption de folie et d'exubérance drolatique à la sauce Almodovar. Étrange et incroyable planète terre que celle d'Almodovar, et pourtant, elle tourne. Rond. Le mécanisme est parfaitement huilé, d'une précision diabolique et me fait aimer un film de genre, non plus qu'une comédie de mœurs, ni un drame romantique.

Pour finir de nous faire passer un bon moment de cinéma, il dirige encore de très bons comédiens.
Je n'ai pas reconnu Elena Anaya dont le regard mouillé interpelle sans pour autant encore faire oublier la rage émouvante en même temps que contenue d'une Penelope Cruz. M'enfin, espérons!
Quel plaisir de retrouver Marisa Paredes, toujours aussi époustouflante.
Antonio Banderas n'a pas tout perdu en comptant fleurette du côté d'Hollywood. Sans la frénésie de son personnage de "Átame!", il projette à nouveau une face glaçante, d'une dureté effrayante.
Découverte pour ma part de la comédienne Blanca Suárez aux yeux révulsés qui m'ont rappelé Barbara Steele.

Ca me fait penser à la réflexion de ma femme qui au cours du visionnage a songé aux gialli de Bava. Pourquoi pas? On peut invoquer Franju, forcément, aller jusqu'à Haneke peut-être si l'on ne craint pas de faire preuve de hardiesse. Souvent en regardant un film d'Almodovar, on est frappé par la richesse chromatique et l'on croit y percevoir de très nombreuses influences. Celui-là non plus n'y manquera sûrement pas.
Alligator
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le 19 avr. 2013

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