Quintessence du western spaghetti, quintessence du western tout court, l'italien Sergio Leone nous sert le mythe du Far-west, mythe américain, mythe étranger aux vieilles terres italiennes, dans un de ses plats grandiloquent du sud de l'Italie, tragicomique et bigarré.


Sergio Leone est le chef trois étoiles du septième art, metteur en scène prodigieux, faiseur de plans fabuleux, capable de toutes les audaces, de mêler, comme seuls les Italiens savent si bien le faire dans leur cinéma, le tragique et le comique avec brio. Le ton du film est donné par la bande originale d'Ennio Morricone, une des meilleures partitions du septième art, alternant joie de la cavalcade et mélodie lancinante, tendre et triste.


A l'épique du western, genre à l'époque en pleine remise en question, Leone y ajoute le réalisme européen, ces gueules sales, ces bâtiments en ruine, la crudité de la guerre, les vicissitudes de l'âme, la brutalité des hommes et leur lachêté aussi. Le far-west est une quête miteuse, où une nature hostile et austère croise les regards interlopes des âmes vagabondes : bandits, voyous, gredins, alcooliques, mercenaires, mutilés et soldats en quête d'une gloire futile peuplent ce monde où femmes et enfants sont comme relégués au second plan pour laisser place à ce duel de sueur et de testostérone sous un insolent soleil.


A la manière européenne aussi, Leone habille ses personnages, comme dans une fable. A leur tête le ténébreux Clint Eastwood, grand dégingandé, justicier de l'ouest, suivi par Eli Wallach, en bandit volubile, en combinard malchanceux, et Lee Van Cleef, en brute froide, calculatrice et sirupeuse. Ils sont les héros d'une quête paradoxale, à la recherche d'un trésor perdu révélé par un homme à moitié mort, mirage miroitant, au beau milieu du désert. Seulement voilà, les trois héros ont chacun une partie de la réponse pour trouver le trésor. Commence alors un jeu de dupe, où les destins de ces personnages alambiqués se croisent dans les étendues désertes de l'Amérique. Wallach fait le clown triste, bourru, sauvage, malchanceux, sauvé sans cesse par Eastwood qui le livre aux autorités qui le recherchent, encaisse le butin puis le libère avant de le livrer à nouveau, contre un butin toujours plus grand. L'argent et l'or, pour Leone est une quête qui en vaut bien une autre, qu'importe la morale. C'est aussi une sorte d'ivresse et d'illusion.


Et le reste n'est qu'une quête pour ce graal futile, une sorte de mythe inversé de Lancelot où le truand se fait sans cesse rappeler par ses déboires avec la justice, où la brute tue ceux qui lui font obstacle, et où le bon parvient toujours, avec facétie à passer pour l'ange "blondin". Voilà que l'on traverse la Guerre de Sécession dans une bataille absurde - mais à la mise en scène grandiose - pour un simple pont de bois, et la quête s'évanouie dans la boue des tranchées et dans le sang. La mort frôle nos héros qui attendent dans des bâtiments désossés par l'artillerie le moment propice pour s'accaparer, seuls, le fabuleux trésor.


Les voilà face à face dans un duel à trois, au milieu d'un cimetière circulaire, Colisée tout italien, motif récurrent chez Leone, où se cache le fameux butin. Le réalisateur ne filme que leurs mains, que leurs visages à la manière des vieux films japonais, la moindre goutte de sueur qui perle sur le visage, la terre qui s'imnisce dans les pores de leur peau, la poussière qui leur couvre le visage, les vêtements miteux, la crosse brillante des pistolets, les mains torves et tendues, prêtes à bondir, les bottes boueuses et trouées, prêtes à flancher et tout est dit, dans l'art de la suggestion, par des regards entrecoupés. Le génie de Sergio Leone tient dans cette scène, épique, magistrale, interminable et palpitante.


40 ans après sa sortie, on ne s'en lasse pas. La vraie histoire de la conquête de l'ouest, Leone s'en moquerait presque. Elle n'est qu'un contrepoint. Leone fantasme, Leone rêve, Leone crée. L'ouest, il ne l'a pas filmé - d'ailleurs il a tourné son film en Espagne - il l'a inventé. Les mystères de l'ouest commencent avec lui.

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le 31 juil. 2016

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Tom_Ab

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