L’ami Jean-Jacques, cette chère tête blanche nationale reconnaissable entre toutes, est un cinéaste énigmatique dont les hauts et les bas de carrière sont si marqués qu’il reste pratiquement impossible de déterminer, 40 ans après ses débuts, lesquels des uns ou des autres définissent son identité profonde. L’éclatante réussite de son début de parcours (quatre premiers films presque inattaquables) constitue-t-elle un heureux accident de jeunesse qu’une abondance de moyens et une position établie sont venus confondre, ou, au contraire, est-elle révélatrice d’une liberté et d ‘une folie qui ont été bridés ou étouffés par la suite ? La démesure de certains projets entrepris depuis le début des années 90 semble malheureusement faire pencher la balance du côté d’une boulimie artistique mal maitrisée. A laquelle une prothèse chirurgicale ferait sans doute le plus grand bien.


Steppes by steppes


En l’occurrence, le projet dernier loup est, sur le papier, on-ne-peut-plus noble. Cette adaptation d’un best-seller chinois narrant les pérégrinations de deux jeunes étudiants de la ville venus éduquer les masses paysannes et confrontés à la rudesse de la steppe mongole, offre de nombreuses possibilités scénaristiques et visuelles qui valident indiscutablement le projet, à priori. Cette histoire simple est l’occasion de brasser une vaste palette de thèmes (historique, écologique, initiatique, politique, et pourquoi pas philosophique) dans lesquels peuvent se retrouver grands et petits.


La yourte, nature


Le manque de forme du résultat constitue un cas d’école. A ne pas savoir quel loup courser, Annaud accouche d’une œuvre molle et fuyante, un corps désarticulé et presque sans vie, privé dès la naissance de colonne vertébrale, à l’image de la peau de loup balloté par les vents, qui sert de drapeau au village qui accueille nos deux héros. Une chose curieuse à la fois magnifique et hideuse (les paysages / les loups numériques) qui n’inspire aucune empathie ni rejet, qui ne s’adresse à personne en particulier, plongeant toutes les générations dans le même ennui poli, et dont le discours principalement naturaliste est contredit de manière stupéfiante par la mise en scène grotesque de la spiritualité locale.


Au fond, la 3D est aussi décevante que le reste, en ce qu’elle ne nous permet même pas de débusquer, à la dérobée et subrepticement, un Frédéric Lopez affable en train de butiner Virginie Elfira sur une peau de renne, au détour d’une yourte austère . Pas la peine de vérifier: entre deux micro-siestes, je n’avais rien d’autre à faire que de guetter.

guyness

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