Du haut de ses 68 ans, et des 30 longs-métrages à son actif, Spielberg n’a définitivement pas dit son dernier mot. Jouant sur tous les fronts, il a toujours su garder une cohérence dans son œuvre, autant lorsqu’il s’attaque au drame qu’au film familial, d’aventure, de science-fiction ou bien au film historique. C’est la guerre froide qu’il aborde cette fois-ci, à travers le portrait filmique de James Donovan, un avocat américain au destin atypique. Il y prouve une fois de plus son talent pour saisir l’émotion et l’humanité dans l’exercice conventionnel du biopic. Et pour ceux qui aimeraient le voir revenir sur d’autres registres, son prochain film annoncé pour l’été prochain « Le Bon Gros Géant » s’aventure vers le fantastique. Sur le long terme, il envisage un film de science-fiction et un nouvel Indiana Jones « prévu avant les 80 ans d’Harrison Ford ». Rien ne l’arrête, le Steven.


« Le Pont des espions » est avant tout un plaisir de cinéphile. Du grain de la pellicule aux effets de lumières prononcés, des effets de transitions aux montages alternés, en passant par de discrets plans-séquences, on retrouve l’art spielbergien dans toute sa maîtrise, sa modestie virtuose. Modestie, car le réalisateur s’efface au profit d’un récit minutieusement rythmé, remarquablement dialogué (avec les frères Coen au scénario, ce n’est pas étonnant) et magnifiquement interprété : Tom Hanks et Mark Rylance, l’un en avocat idéaliste et jusqu’au-boutiste, l’autre en espion soviétique impassible et pourtant sensible sont d’une authenticité profonde. Seul un élément déconcerte : si la musique est de très bonne facture et embellit quelques séquences, elle n’est pas signée John Williams. C’est la première fois que Spielberg ne fait pas appel au fameux compositeur depuis… « La couleur pourpre », en 1985 !


Dans son propos, le film s’apparente beaucoup à « La Liste de Schindler », avec une glorification de l’altruisme, l’éloge émouvant d’un homme exceptionnel, se jetant à corps perdu dans une cause qui lui semble juste. Ici, il y a tout d’abord la justice : Donovan défend l’espion soviétique contre vents et marées, car tandis que l’opinion publique aimerait le voir la cervelle grillée, le juge veut en finir au plus vite, quitte à commettre des fautes de procédure. Quelle valeur reste-il à la justice américaine si elle oublie la constitution dès qu’il s’agit d’un « traître à la nation » ? Mais le destin de Donovan ne s’arrête pas là, et se poursuit à Berlin, sur le fil du rasoir (ici matérialisé par le mur fraîchement érigé entre les deux parties de la ville). S’y animent des négociations historiquement étonnantes, montrant une forme d’opposition entre la RDA et son occupant l’URSS. Spielberg y capte les décors de Berlin et l’atmosphère totalitaire avec justesse, prenant bien soin d’éviter tout archétype au profit d’un suspens qui garde en haleine jusqu’au bout.


S’il ne marque pas un tournant majeur dans le cinéma de Spielberg, « Le pont des espions » en est un fier représentant : quelques notes de légèretés, des envolées verbales pertinentes, une émotion omniprésente et surtout un regard bienveillant, qui tue instantanément toute forme de cynisme nauséabond. S’il n’oublie jamais l’intérêt historique ni la dramaturgie, c’est le symbole qui fascine Spielberg. Le symbole d’une humanité qui, dans les tréfonds de la paranoïa et de la propagande, s’élève héroïquement pour abolir les frontières.


Voir ma critique de Pentagon Papers : https://www.senscritique.com/film/Pentagon_Papers/critique/134934171

Marius_Jouanny
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le 13 déc. 2015

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Marius Jouanny

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