Ce qui frappe en premier, c’est que si l’équipe du film connait assurément le milieu de l’escalade (connaissances précises des dates, des lieux, des nœuds, etc…), elle sacrifie le réalisme au romantisme. Alors oui, il y a des invraisemblances (on ne chute jamais d’autant sur une voie ; l’accident avec l’apprenti d’Habu est complètement improbable), une surenchère dans les péripéties (le héros ne se contente pas de gravir un sommet, seul, sans oxygène, en plein hiver : dans la foulée, il franchit des crevasses et survit à des avalanches), mais je pense qu’il faut voir y voir une exagération volontaire, symbolisant le chemin de croix du personnage principal (la longueur démesurée de la corde qu’il a à remonter pour s’en sortir serait en partie symbolique, par exemple).
Je n’ai pas lu le manga (quoique maintenant, j’en ai drôlement envie !), mais on sent que certains passages ont été élagués, certains personnages, simplifiés. Un ou deux raccourcis en deviennent un peu grossiers (comment Habu a-t-il pu perdre la pellicule au début du film ? S’il était si bien caché, quelles étaient les probabilités pour que le journaliste le retrouve ainsi par pur hasard ?)
Aussi, même si trois intrigues s’entremêlent intelligemment pour n’en plus faire qu’une, le récit est simple et balisé. Peut-être un peu trop, parfois (l’accident, le deuil et l’exil radicalisant le personnage, c’est du déjà vu). Mais j’ai trouvé qu’en plus d’être efficace (bonne icônisation du héros : le geste signature des deux doigts, dans une ruelle sombre qui fait toujours son effet ; ampleur de l’accident bien appuyé par le mixage sonore, puis par les apparitions fantomatiques du malheureux) il détourne plutôt bien les clichés du genre (l’habituel rival, le mentor), et traite la question du dépassement de soi avec beaucoup de justesse (en même temps, pour cela, quelle meilleure métaphore que celle de l’alpinisme ?)
Habu m’a paru franchement réussi. On est sur un héros romantique, encore une fois, mais qui évite la caricature. Il est pragmatique, pas insensible ; bourru, pas infréquentable ; ascète, pas inhumain. J’ai bien aimé le fait de le situer socialement, sans en faire des caisses. Et surtout, pas d’amourette vue et revue, mais un amour mâtiné de haine, un amour dévorant et mortifère : la montagne ! Les cahiers du cinéma faisaient un parallèle « capitaine Achab/Habu et Moby Dick/l'Everest », c’est très bien vu !
L’animation et le doublage sont à mon sens tout à fait convaincants, et surtout, le dessin et le sens des perspectives illustrent à merveille la majesté mystique de la montagne. Si l’on ne s’ennuie jamais, le film sait tout aussi bien étirer une scène quand il le faut, que ce soit pour accentuer la violence d’un déchirement (lors de l’accident qui parait ainsi vraiment inextricable ; j’ai d’ailleurs beaucoup apprécié l’ambiguïté du « désolé » d’Habu, juste avant que son élève décide en fait lui-même de trancher la corde) ou pour renforcer le dénuement de l’homme seul face une nature toute-puissante (en particulier lors du dernier tiers, beaucoup plus contemplatif, et dont un des tours de forces est de nous faire faire adopter non pas le point de vue d’Habu, mais celui du journaliste : le héros devient une légende impossible à rattraper !), le tout magnifié par une musique adéquate.
Et la conclusion, franchement, quelle classe ! En fait, Habu est plus qu’un personnage melvillien. « Qui vit de combattre un ennemi a tout intérêt de le laisser en vie ». Ce n’est pas qu’il meurt en triomphant de la montagne, comme le capitaine Achab tue Moby Dick, puis se fait entraîner dans les abysses malgré sa volonté : une fois arrivé au faîte de son existence, il ne peut plus que se suicider. C’est la seule manière de poursuivre encore la montée, pour ne jamais redescendre.
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