“Les clefs de bagnole” est certainement un ovni cinématographique. Je ne sais pas si l’on aura droit à une autre oeuvre de Laurent Baffie sur grand écran. Vu le four et le traumatisme financier que subit Laurent Baffie à l'issue de sa sortie, je crains qu’on doive se contenter des pièces de théâtre qu’il s’autorise à créer de nos jours.


Le terme “auteur” fera sursauter les soit-disant puristes. Je maintiens le terme et m’enorgueillis d'être ainsi plus puriste que les puristes. Un auteur est un inventeur, un créateur d'univers, de style. Or, Laurent Baffie, dans ce film comme dans ses pièces de théâtre, crée quelque chose qu’on ne retrouve pas ailleurs : un auteur donc, et pas qu’un peu !


Certes, la grossièreté fait partie de son panel et lui ferme de nombreuses portes. Mais je n’en ai cure… pardon, je m’en bats les couilles, oui , évidemment c’est déjà mieux. Plus sérieusement, le problème des portes fermées n’appartient qu’à ceux qui ne veulent pas les ouvrir sous des prétextes de bienséance qui n’ont par définition strictement rien à voir d’une part avec l'humour et d’autre part avec la démarche artistique dans toute sa vaste splendeur. Pour résumer, faisons fi de ceux qui nient l’auteur Baffie : leurs œillères leur appartiennent. Quant à nous, hé bien, profitons! D’autant qu’en cinéphiles nous avons le devoir de ne pas trop nous appesantir sur la surface des choses.


La grossièreté de Baffie n’est qu’un voile qui ne parvient même pas à en étouffer la fraîcheur, l’humour et la poésie. Peut-être même en fait-elle le terreau, qui sait? Oui, cette trilogie est essentiellement produite par le jeu continu que le scénario complètement libre mène avec l'absurde. Voilà les maîtres mots de ce film et de tout l'univers de Laurent Baffie : “jeu” et “absurde”. De façon constante, le film produit un spectacle ludique entre réalité, représentation, action, cause et effet, la délicatesse de certaines scènes est bien calibrée, comme autant de moments de respiration.


On peut néanmoins souligner que l'ensemble du film paraît un peu désordonné, fabriqué avec des bouts de ficelle, comme improvisé. D’une certaine manière, cet amateurisme semble sciemment mis en scène, contribuant à un autre aspect, un peu bohème, toujours ludique et donc un chouïa enfantin.


La complicité évidente entre Laurent Baffie et Daniel Russo souligne un peu cette image de puérilité assumée et maîtrisée, donc fertile. L'imagination débordante de Baffie engendre une diversité dans les gags et dans la narration qui font aujourd'hui la qualité du film. S’il n’a pas fonctionné à sa sortie, c’est sûrement parce que sa forme était beaucoup trop inédite. Iconoclasme qui a pu choquer le grand public.


De nos jours, Laurent Baffie jouit d’une bien meilleure reconnaissance grâce à ses pièces de théâtre à succès, tout aussi barrées, mais qui ont peu à peu apprivoisé les esprits d’un grand nombre de spectateurs. Je suis persuadé que ce film, rare, va connaître en grandissant via la vod et les dvds une belle carrière de film culte.


Captures et trombi

Alligator
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le 29 oct. 2016

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Alligator

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