Noé est devenu sage. Si, si je vous le jure : il a désormais la pine gentille et la mise en scène en mode frein moteur.


Pour le meilleur (je développerai), mais aussi malheureusement pour le pire film (moins bon serait plus juste) qu'il ait réalisé à ce jour il me semble. Malheureusement, le "bête et gentil", c'est toujours moins réjouissant que le "bête et méchant".


Quand on va voir un Gaspar Noé qu'est-ce qu'on attend ? Et bien moi, j'attends d'en prendre plein la tronche (héhé), de voir des acrobaties de mise en scène qui repoussent ce que 'avais pu voir jusque là, une violence de traitement et je m'attends également à subir un pensum un peu con. N'empêche que j'aime bien ça.


Les maîtres du feu


Gaspar Noé est, tout comme Murphy dans le film, un grand fan de Kubrick. Ce n’est pas étonnant, il partage avec lui un pouvoir quasi chamanique de savoir fabriquer un ensemble d'image et de sons qui prennent possession de la raison de spectateur. Quand on va voir un Godard ou un Rohmer, le film nous pose des questions de cinéma, il s'instaure un dialogue entre le film et le cerveau du spectateur pour finalement créer et/ou développer l'intelligence sensible du spectateur.


De même un film d'Hitchcock va jouer avec le spectateur en répartissant intelligemment le savoir du spectateur et le savoir des personnages au cours du film afin de provoquer du suspens. Ce jeu là est incrémental puisque plus le public voit de films de suspens ou de thriller, plus le cinéma est amené à développer des formes davantage complexes et riches pour satisfaire le spectateur.


On pourrait multiplier les exemples, le principal est que, de manière générale, le cinéma classique joue avec le spectateur alors que Kubrick et Gaspar Noé se jouent du spectateur. Ce sont des cinéastes prédateurs qui font ce que Noé appelle du cinéma sensoriel qui prend aux tripes (littéralement : il faut se reporter aux intentions de Noé concernant l'utilisation des infrabasses dans Irreversible pour provoquer des nausées dans le public). Ces cinéastes ont tellement de talent qu'ils réussissent à déployer des dispositifs qui prennent possession du spectateur pour l'emmener dans des peurs, des joies, des colères ou des émerveillements viscéraux.


Je me suis très longtemps interrogé sur la puissance qu'ont ces mecs. Je pense qu'à la préhistoires, ce seraient eux les maîtres du feu. Il portent en eux une capacité fondamentalement cinématographique à produire de la pelloche enflammée. Ce feu peut apporter de la lumière ("2001 A Space Odyssey" pousse le spectateur à se projeter dans l'état de conscience supérieur à celui de l'homo sapiens), de la terreur (Shinning), de la colère (Irreversible) mais peut aussi tirer le spectateur en deçà de sa raison et l'emmener vers des territoires bien plus malsains.


C'est le problème des relation asymétriques de type dominant / dominé. On peut y prendre du plaisir quel que soit le côté dont on se trouve mais à partir du moment où l'on est l'objet de l'autre, il faut savoir que cet autre peut être un danger.


Du coup, jusqu'ici ça me plaisait bien de voir ces démonstrations de force : c'est Gaspar Noé qui, il me semble, a le premier inséré du trucage numérique au sein d'un plan séquence pour provoquer un sentiment d'immersion et de stupéfaction que peut être seuls les premier spectateurs de "L'arrivée du train en gare de la Ciota" avaient pu connaitre. Dans Irreversible, dans le même plan on voit un type qui parle et qui quelques minutes après a le crâne réduit en purée. C’est dans Irreversible qu'il ajoute une bite numérique qui débande par accoups dans le tunnel du viol pour pousser au plus loin le réalisme sordide de son plan séquence atroce. C'est dégueulasse mais c'est cinématographiquement révolutionnaire (et ça, je l'ai pas lu dans beaucoup de papiers à l'époque...). Est-ce que JJ Abrahams aurait fait les mêmes plans sans "Irreversible" ? Je n'en suis pas certain.


Une mise en scène adulte


C'est là qu'on peut revenir à Love. Ben ouais parce que malheureusement, "Love" est le moins scandaleux des films de Gaspar Noé et surtout le moins puissant en termes de mise en scène.


Parfois ça donne des choses cools : la scène de boite de nuit filmée en plan séquence et caméra fixe alors que n'importe qui aurait eu envie de surdécouper une telle scène et surtout de faire bouger la caméra avec la foule et l'explosion de violence qui arrive dans le couple.


Globalement les caméras bougent moins, certainement à cause de la 3D qui rend plus difficile la lecture du mouvement d'appareil. Un choix intelligent donc.


On pourra aussi noter des cadrages beaucoup plus classes que Kechiche dans "La vie d'Adèle" pour les cènes de sexe (du moins certaines) ou un montage son de toute beauté avec des variations de modulations au cours d'un même plan en fonction de tout petits mouvements de caméra (zoom très longs et très lents. Ça ressemble à des choses qu'on avait vu dans ses précédents films mais c'est cette fois ci plus doux, moins ostentatoire et du coup plus à propos.


Tout cela est bercé par quelques notes égrainées de Erik Satie, à l'opposé des symphonies pompières de Beethoven ou de la marche de Thierry Burdet. C'est plus doux, plus soft, mais moins fou.


Au final, si elle est plus posée, cette mise en scène est aussi bien moins riche et inspirée que ses précédents opus.


Le fait de ne pas conclure l'intrigue principale (qu'est-ce qui est arrivé à Elektra) est aussi un choix plutôt courageux de sobriété pour Gaspar Noé.


Un scénario d'enfant


Le film n'est donc pas tout pourri. Par contre il a quand même les défaut d'un Noé tradi :
Les Morales à la con :
1- Sexe + amour = absolu
2- On nait seul, on meurt seul
3- La loi deMurphy : si quelque chose peut se passer mal, ça arrivera (par ailleurs une compréhension complètement erronée du concept initial tourné en dérision : Loi de Murphy (Wiki))


Un sexisme qui se justifie par la violence ressentie de l'homme :
1- Les hommes sont jaloux et effrayés
2- Les femmes sont folles et salopes
3- Mais elles constituent quand même la seule possibilité d'élévation de l'individu (elles sont un moyen et non un fin)


Un réalisme qui se fout du monde réel :
1- Des personnages étudiants qui vivent tous sans travailler dans des F4 à Paris intramuros
2- Des flics partousards qui ne donnent pas suite à une agression à coup de bouteille.


On a donc, encore plus que d'habitude, l'impression de voir un ado énervé mais talentueux qui réalise un film bête et furieux (on préférera donc Mad Max 4 : le film furieux d'un vieil homme sage en pleine maîtrise de son art).


Ce résultat semble assez logique lorsqu'on regarde le film de plus près. en effet on peut se demander si ce n'est pas l'intention même de Gaspar Noé de faire un film aussi infantile et machiste. Là où dans ses précédentes réalisation le cinéastes bourrait ses plans de références à d'autres cinéastes (affiches de 2001 dans Irreversible par exemple), ici Noé se fit référence à lui même avec la VHS de "Seul contre tous" comme boite de pandore (plus classe que boite à teuch non ?) ou son Hôtel Love récupéré de "Enter the Void" (pièce maîtresse de son avant dernier film qui apparaît dans ses scènes les plus forte et les plus inspirées, certainement de toute la carrière de Gaspar Noé. J'avoue que je paierai cher pour avoir la maquette originale) sur sa table de nuit.


Si on regarde encore plus profondément, le film parle d'un étudiant en cinéma venue des Amériques (Murphy dit "America" et non USA), qui a un fils qui s'appelle Gaspar
, qui va voir une relation avec une certaine Lucile, etc... Soient autant de références à la vie et l'entourage de Gaspar Noé : sa femme, sa mère, sa propre histoire ou celle de ses amis avec par exemple la séquence de chamanisme certainement inspirée par la vie de son pote Jan Kouenen.


De même on peut sentir une plus grande hétérogénéité de la bande son, non pas conséquence d'un film plus riche mais plutôt parce que Gaspar Noé aurait envie de placer un peu de tout ce qui le touche avec la maladresse d'un artiste trop intimement concerné par son sujet. Ça pour le coup c'est un peu émouvant ("Dirge" de Death in Vegas so 90's :))même si le résultat n'est que moyen ("Assault" de Carpenter dans une boite échangiste c'est plus rigolo que sombrement lyrique ).


C’est le risque quand on fait un film trop proche de sa vie, c'est que du coup on peut y projeter toute sa connerie de jeune adulte. Ainsi Murphy est un connard qui a peur que son fils devienne pédé ou qui plante sa queue un peu partout mais violente sa meuf si elle a le malheur de sucer une autre teub pour sa carrière d'artiste. La vision même de la sexualité, si elle a le mérite d'être plus réaliste qu'un porno gonzo ou classique (y a des poils, de la lumière et de la mise en scène), reste hyper masculine, naive et centrée sur l'état de la verge (ejac sur le spectateur, sur la bouche de la dame, dans les mains, etc...) : Love est littéralement l'histoire d'une bite.


Ce n'est pas méprisant de dire ça, ce n'est pas non plus une blague. L'idée même de filmer l'histoire d'une bite n'est pas absurde en soit. Malheureusement le tout est fait sans grande inspiration et Noé saupoudre le tout de conceptions amoureuses d'ado en 1ère L tout en faisant mine d'en faire le propos central de l'oeuvre.


L’appauvrissement général ne fait finalement que mettre davantage en évidence l'une des faiblesses du cinéaste, à savoir son besoin de toute puissance. on l'a vu Noé aime prendre possession de son spectateur et non partager ou entrer en dialogue. Cette toute puissance se manifestait jusqu'ici par la provocation et la fascination que produisaient ses films : on est obligé d'être abasourdis, sonnés ou stupéfaits devant les monologues du boucher incestueux ou d'une scène de viol en plan séquence de 10 minutes. Ici, avec le dépouillement, il ne reste de la toute puissance que son expression la plus primaire, une quéquette fièrement (mais vainement) dressée qui parcours le film. Effectivement Murphy est lui aussi en quête de toute puissance, il cherche à prendre le contrôle de sa vie , enfin, surtout le contrôle de ses meufs et de son appart. Comme Murphy le dit lui-même, il n’est qu'une bite et une bite n'a pas de cerveau.


Ça lui va pas bien de s'assagir au Noé, espérons qu'il conserve ce qu'il a expérimenté ici en terme de structuration plus mature de sa mise en scène (cadrages, mouvements) au service d'un sujet plus adulte ou alors plus rock'n roll ce serait chouette, mais la bluette façon Marie Claire se met au porn très peu pour moi.


Appartée concernant l'interdiciton aux -18 ou -16 ans :


Que les films contenant des scènes de sexe non simulé soient accessibles aux mineurs de 16 ans ne me choque pas dans la mesure où ces images sont depuis très très longtemps (au moins l'âge de la VHS) accessibles aux mineurs.


En revanche, ce qui est problématique, c'est que la loi est à la fois complexe et en même temps trop floue dans sa définition du matériel pornographique. Si on se met d'accord sur une définition contemporaine qui me semble la plus juste au cinéma, à savoir la représentation d'actes sexuels non simulés avec organes génitaux apparents, alors le problème est qu'on a des différences de traitement selon les auteurs :


Les films de John B Root ou Destricted ont été interdits aux moins de 18 ans, Shortbus ou les films de Bruno Dumont non. Si la loi est mauvaise il faut la modifier et non pas octroyer des passe droit au bon vouloir de je ne sais quel juge suite aux lobbying des distributeurs et studios.


La valeur artistique d'un film est parfaitement subjective et on ne peut pas se baser sur cet item pour se déclarer pour ou contre une autorisation-16 ou -18, c'est parfaitement ridicule et dangereux (Qui décide ce qui est valide artistiquement ou non ? Qui décidera demain ?).


Je suis favorable à une interdiction -16 et surtout à une éducation par l'Etat à l'image, y compris pornographique, à partir du même âge.


A côté de ça, Destricted et surtout son segment "Impaled" par Larry Clark est mille fois plus intelligent et artistique que le dernier Gaspar Noé et je n'ai pas entendu les kéké cinéphiles des forums ou des Inrocks s'offusquer de son interdiction -18. Au final ces revendications à propos de "Love" constituent bien plus un buzz marketing qui exploite les progressistes du dimanche qu'autre chose. Doit on rappeler le nombre d'entrées qu'a fait "Enter the Void", très bon mais qui n'a pas bénéficié de campagne polémique ? Est-ce que "Les Films de la Zone" et autres coprods avaient envie de refaire un bide ou est-ce qu'ils n'ont pas préféré la pub gratuite des débats qui ont couru autour du sulfureux Irreversible ?


Dans un état de droit, la loi doit être la même pour tous. Si elle ne fonctionne pas, il faut la modifier (ce que je souhaite) et non se satisfaire, voire supplier dans les médias, qu'une ministre de la République accorde sa grâce à une caste d'artistes "plus présentables que d'autres".


En l'état actuel des choses, "Love" devrait être interdit aux -18 ans et si le peuple ou la République pense que c'est une erreur, alors c'est toute la pornographie qu'il faudra ouvrir, ce qui aura le mérite de mettre tout le monde sur un pied d'égalité et d'accompagner le développement de la pornographie.


En plus d'être injuste, faire des exceptions ponctuelles, ça a le même effet que de lâcher un peu de vapeur dans une cocotte minute, ça retarde le moment où tout pète. Et à mon sens la législation sur la pornographie doit exploser.

Dlra_Haou
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le 9 août 2015

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Martin ROMERIO

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