Librement adaptée de l'histoire contrariée de l'américaine fortunée Florence Foster Jenkins, Marguerite est un film qui s'attaque au mensonge insidieux que peut engendrer le genre humain. Finalement, cette anti-héroïne devient la victime et la proie presque sans défenses d'un entourage qui lui ment car elle ne s'identifie pas comme une interprète qui chante véritablement mal. Tour à tour intéressée,gênée et quand même fataliste pour la paix sociale, l'humanité témoin de l'aveuglement de Marguerite est aussi malade qu'elle peut l'être. C'est la force du film qui montre tous ces gens assister au ridicule d'une personne pour ne pas s'effondrer devant sa propre faiblesse devant la Vérité.
Pour ne pas rebuter les spectateurs du film, Xavier Gianolli a procédé par glissements pour respecter l'égo fragile de Marguerite et montrer malgré tout que son personnage s'était approprié des moments d'exception qui l'ont aidé à vivre. Même aveuglée, cette femme est désarmante de sincérité et ses moments de lucidité avec les autres (le moment où elle parle de la souffrance au jeune arriviste Beaumont à l'hopital ou ses discussions avec son mari) sont remarquables. Il aura fallu l'humanité immense de Catherine Frot et sa compréhension ultime de la psyché complexe de Marguerite pour que la magie opère et qu'elle magnifie le film de Gianolli. C'est d'ailleurs le talent du cinéaste qui propose à des acteurs/actrices confirmés des destinées contrariées auxquelles ces derniers apportent leur auras (voir Quand j'étais chanteur entre autres). En tous cas, Catherine Frot dans ce premier rôle multiple et retors fait certainement un grand pas vers le César de la meilleur actrice. Les seconds rôles ne sont pas non plus en reste dans cette farce tragique où ils révèlent leurs parts de contradictions dans le mensonge.
Un autre commentaire sur le background du film qui livre son lot d'analyses subtiles quand à la violence de l'époque où Marguerite a mal chanté. Xavier Gianolli ose montrer le revers du surréalisme où la décadence affichée tempérait avec une anarchie cynique et malsaine. Un point de vue véridique et courageux qu'on a peu traité sur ce mouvement artistique prédestiné au génie dans les descriptions historiques et littéraires.
Autre niveau de lecture:Marguerite est aussi une bougeoise qui ne s'est pas soumise aux codes de son milieu pour vivre sa passion. Sa liberté même sous le joug d'un certain aveuglement fait plaisir à voir au milieu de ces coqs en pâte férus de chasse à cour ou de musique de chambre. L'adage pour exister, il faut persister est ainsi une bonne leçon livrée par le film où le fait d'être à sa place dans la duperie du monde n'est plus qu'une incitation complaisante.

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le 16 sept. 2015

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