Maryline parle dans sa cuisine à quelqu'un qui n'est pas là, marmonnant des mots que l'on ne comprend pas. Un verre de vin et un scénario à portée de main, elle apprend son texte, le répète, le joue, le cherche, l'incarne, déjà habitée dans un temps qui n'est même pas encore celui des coulisses.
La scène dure moins d'une minute. Un pur moment de cinéma pendant lequel on est tout entier suspendu aux murmures d'une actrice interprétant une actrice interprétant... Vertige double pour coup de cœur décuplé : Adeline d'Hermy, qui vaut qu'on aille voir le film rien que pour elle et s'impose en une scène comme la plus belle révélation de l'année ; dans le rôle, justement, d'une actrice qui se révèle. Et qui vient désormais concurrencer Laetitia Dosch (Jeune femme) pour le prochain César de la meilleure actrice.


Pour son second long de cinéma, Gallienne quitte l'autobiographie sans toutefois trop s'éloigner de son univers : le personnage de Maryline lui a été inspiré par une femme qu'il connaît et le sujet au cœur du film (les difficultés du métier d'acteur, le rapport aux mots) lui est tout aussi familier. Continuer de naviguer ainsi dans sa zone de confort sur le plan de l'histoire lui permet sans doute de s'affirmer en tant que réalisateur : formellement, son film est précis, élégant, maîtrisé, et met en valeur l'intégralité d'un casting riche et enthousiasmant.


Présenté par une bande-annonce qui met en avant sa légèreté (les éléments de comédie, s'ils fonctionnent parfaitement, sont finalement assez rares), le film trace le parcours douloureux d'une jeune actrice littéralement tétanisée : par la peur de décevoir, par la violence d'un réalisateur ou d'une maquilleuse humiliants, par le poids de la petite vie de province, par le charisme d'une star, par la difficulté d'articuler les émotions.
Un magnifique portrait de femme rare en ce qu'il captive et émeut moins pour ses paroles que pour ses silences, parfaitement bouclé par une scène finale cohérente et poétique qui tire les larmes pour de bon autour d'une dernière avalanche de mots muets. Les plus beaux.

AlexandreAgnes
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le 20 nov. 2017

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Alex

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