Abdellatif Kechiche est un homme libre, artistiquement parlant du moins, un homme qui si on lui confie le soin de peaufiner une pub de quelques minutes pour un yaourt quelconque en fait une trilogie de huit heures.


J'ai entendu parler de ce cinéaste il y a quelques années, comme d'autres j'imagine, en 2013 plus précisément, lors de la sortie de la Palme D'or Cannoise La Vie d'Adèle : Chapitres 1 et 2.
Un très bon film, de trois bonnes heures. De toute manière, à bien y regarder la filmographie de Kechiche, il aime prendre son temps, que ça soit entre ses films que pendant ses films.
Seul L'Esquive ne dépasse par les deux heures, s'en rapprochant pourtant de près.
Ce que j'aime chez ce réalisateur, sur les pour l'instant trois films de vus, c'est cette authenticité impeccable, sorte de cinéma vérité mais mis en scène de manière cinématographique tout de même. Si les frères Dardenne sont un exemple fort du cinéma vérité, films radicaux et bruts en terme de montage et d'image, Kechiche lui aime au contraire s'amuser avec le réalisme, le magnifiant et le rendant éclatant malgré des sujets aussi crédibles que possible.


A vrai dire je ne savais pas comment appréhender ce Mektoub, My Love : Canto uno, de manière curieuse il en va de soi, mais quand on se prépare à attaquer un film d'une telle durée, on a toujours cette petite appréhension, "Vais-je me faire chier ?". En plus en début de séance, avant le démarrage du film, je pensais à d'autres choses, notamment à mon prochain court métrage, ce qui peut me prendre la tête. Il m'aura pourtant suffit de quelques minutes pour entrer dans le film, le lâchant à très peu de reprises. Le cinéma vérité, si c'est bien fait et crédible, c'est incroyablement captivant, peut-être même plus que d'autres genres de cinéma.
Mektoub est un tourbillon au combien étouffant de vie mais débordant de charisme.


Abdellatif est un mec qu'on attend au tournant depuis La Vie d'Adèle, si ce n'est d'avant, limite catalogué comme un cinéaste pervers. Et pour moi le début de son Mektoub est un pied de nez magnifique. Avec un tel sujet on était en droit d'attendre une ou plusieurs scènes de sexe dignes de sa Palme D'or, et bien il y en a bien une, qu'il nous balance dans les toutes premières minutes du film, manière de dire : "Tu regardes mes films pour voir des fions et des loches, bah tiens, régale toi, bouffe en pendant cinq bonnes minutes, tache ton froc et ensuite regarde le film !"
Si seulement cet effet n'avait duré que pendant ce court laps de temps, mais non, cette première partie de Mektoub, futur diptyque ou triptyque même, comment savoir avec cet homme, est un désir constant.


Nous plongeant durant l'été 1994, Kechiche ne s'encombre pas d'une histoire, d'une trame, il nous livre simplement et énergiquement les moments d'un groupe d'amis, de copains copines libres de tout durant ces chaudes vacances.
A la manière d'un Eric Rohmer comme l'évoque l'ami takeshi29 dans le titre de sa critique, Kechiche, bien moins théâtral cependant, ne se donne pour but que d'incruster dans nos vies de spectateurs un temps passé, rempli de moments éphémères et bruts d'émotions. Si tout le monde n'a pas vécu ces instants torrides, sexuels, plein de désirs comme de désillusions, de déceptions également, l'envie de les avoir vécus est bien présente.
N'ayant pas vécu au même âge que les personnages ces moments de bandes, décomplexés de tout, des souvenirs approchants ou même le fantasme d'avoir eu les mêmes qu'eux sont bien là, m'accompagnant tout au long du film. Comment faire autrement en voyant ces magnifiques créatures en maillot se disputant un mec ou partageant une bière en dansant jusqu'à transpirer.


Mektoub, première partie, ou chant un devrais-je dire, est un superbe souvenir, qu'il soit faux, joué et orchestré, il n'en reste pas moins criant de réalisme, à tel point qu'on se demande si l'Abdel n'a pas pris son caméscope pour filmer des jeunes pendant l'été.
D'une minutie fabuleuse, porté par un casting époustouflant, ça transpire la crédibilité, le naturel, les acteurs et actrices inconnus sont tout aussi bluffant que les connus. La force de piocher des têtes innocentes est un atout incontestable quand on est en quête de vérité.
Ainsi, pour ne citer qu'eux, Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche et mon coup de cœur Lou Luttiau, sont aussi magnétiques que désirables.


Abdellatif Kechiche signe ici son meilleur film, dans le peu que j'ai vu en tout cas. Jouant habilement avec le montage, dont j'imagine l'infinité des rushs. Créant trois heures éternelles où le rythme est maintenu à en devenir étouffant, trois personnes sont parties pendant la projo quand le pépère non loin de moi tapait des siestes. Le fait de filmer quasi entièrement tout le métrage en longue focale, laissant peu de place à la profondeur de champ, crée un climat éprouvant, comme si le tourbillon ne se calmait jamais, jusqu'à ce dernier plan, large lui, laissant partir deux jeunes au loin. Ce plan signait clairement la fin du film, la musique arrivant comme bien des fins de métrages, me laissant en bouche un "Ça y'est, c'est déjà la fin ?".
Mise en scène au combien éprouvante mais efficace, dirigée d'une main de maître, qui sait ce qu'il veut, nous rapprocher de ces êtres, jeunes, beaux ou moches, à l'avenir inconnu. Jouant à travers le personnage principal d'Amin sur plein de questions, qui ne concernent d'ailleurs pas uniquement les jeunes. Ne tombant jamais dans la facilité, la fin en est la preuve.


En bref, il est sans doute possible d'analyser ce film par bien des aspects, allant jusqu'à mille lieux de l’interprétation du réalisateur, mais c'est une des forces de ce nouveau Kechiche, rythmé, beau, solaire et incroyablement captivant. La bande son est un petit régal qui accompagne de magnifiques images ainsi que ce casting fabuleux.

-MC

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