Le film est frustrant, frustrant parce que l'enquête criminelle que l'on suit s'enlise, dans la boue de cette province reculée de Corée où la violence est quotidienne. Chaque fois que l'on croit avoir trouvé le tueur, chaque fois que les enquêteurs le pourchassent, il parvient à s'échapper, l'incertitude jusqu'au bout planera. Et les enquêteurs eux-mêmes en seront les responsables, par leurs négligences, laissant souillées des scènes de crime, incapables de se coordonner, se basant sur les instincts les plus primitifs, effrayant les témoins, tabassant les suspects.
La violence c'est celle du serial killer, un violeur et assassin maniaque qui étrangle ses victimes avec leurs sous-vêtements, qui les souille avec des objets qu'il glisse dans leur vagin, mais c'est aussi celle de la police et de toute la société coréenne dans son ensemble. La police ne cesse de torturer des innocents, sa réputation, exécrable, effraie la population. Dans les gêôles glauques du commissariat qu'on croirait des égouts (les égouts, un endroit récurrent dans la filmographie du réalisateur), les flics tabassent, sans retenue. L'inspecteur incarné par l'acteur fétiche de Bong Joon-Ho, Song Kang-Ho, extorque des aveux à des suspects innocents, parce qu'il veut boucler l'affaire, un dossier complexe qu'il ne maitrise pas. Bientôt un second inspecteur venu de Séoul va tenter de remettre de la raison dans le processus de l'enquête. Les policiers tempèrent un peu leur violence mais c'est le nouvel inspecteur qui sombre, aspiré par le crime et cette campagne sombre et glauque, dans la folie et la vengeance. Le duo, formé par les deux inspecteurs, secondé par un directeur impuissant et un agent de police ultra violent, n'arrive jamais à s'entendre. Mais finalement, l'un se rachète, l'autre sombre, les rôles s'inversent. Le coréen des villes s'ensauvage, le coréen des champs s'urbanise.
Car la société est violente. Bong Joon-Ho ne cesse d'explorer à travers ses films ce thème de la violence sociale. Voilà qu'un policier torture un jeune garçon qui est simplet, qui vit dans l'arrière cuisine du restaurant tenu par ses parents, une gargotte malodorante. Voilà que les exercices d'évacuation sont fréquents, à cause des tensions avec le voisin nord-coréen. Voilà que des jeunes filles sont laissées seules la nuit au milieu des champs, entre les usines sidérurgiques et les voies ferrées. La campagne est laide par moments, impression renforcée par la caméra du réalisateur, Il y a la forêt, elle est toujours sombre, il y a les villages, informes et pauvres, il y a les champs, toujours semé de cadavres d'innocentes. C'est parce que la société est violente, que les crimes existent, que la violence policière perdure. L'abîme appelle l'abîme.
Dans ce paysage violent il y a pourtant les innocents, ces pauvres campagnards, ses lycéennes assassinées, ses femmes terrorisées, ses suspects violentés. Il y a aussi le tueur, "raffiné", "mains douces", "glabre", "efféminé". Une poigne assassine dans un gant de velours. Lorsque l'on croit avoir saisi le bon, celui-ci se dérobe, épargné par un énième rebondissement dont le réalisateur coréen a le secret. Frustration ultime d'une histoire de la violence.