Après la mort violente de ses parents et de sa sœur, Dani (Florence Pugh) est invitée par des amis à se joindre à leur voyage en Suède ou leur ami Pelle (Vilhelm Blomgren) leur propose de venir découvrir les us et coutumes bien particuliers du village dont il vient. Mais Dani et ses amis découvrent vite que lesdits us et coutumes ne se résument pas à quelques danses insouciantes et de joyeux banquets…


Hérédité nous l'avait d'ores et déjà prouvé, Midsommar nous le confirme : Ari Aster est un grand réalisateur. Sur le plan formel, en tous cas, il témoigne d'une maîtrise absolue de son art qui, en deux films, le propulse indéniablement au tout premier rang. Esthète accompli et technicien hors-pair, il nous offre là un film dont chaque plan (dont beaucoup frôlent le plan-séquence) est une leçon de cinéma à lui tout seul. On a peine à croire à la beauté qui nous heurte la rétine, tant chaque cadrage et chaque mouvement de caméra, mais aussi chaque décor est une merveille d’intelligence sans précédent, dans sa conception même. A ce niveau, difficile d’avoir quelque réserve que ce soit quant à ce film certes étrange et déroutant, mais visuellement parfait en tous points.


Sur le plan scénaristique, disons-le tout de suite, Midsommar, malgré son habillage plutôt étonnant et toujours déconcertant, n'a rien de très original. On suivra certes avec un intérêt constant les personnages dans ce voyage complètement psychédélique, mais à cet intérêt jamais démenti vient vite s’ajouter une assez forte absence de surprises. Si l’on ne sait pas toujours comment le film va y arriver, on sait en permanence là où il nous emmène.
Ainsi, chaque péripétie pourra sembler très convenue ou en tous cas déjà vue, mais reconnaissons que ça n'enlève rien à l'intelligence avec laquelle elles sont écrites. Tout a du sens, et le but du film n'étant pas de surprendre, cette absence de surprise n’est finalement pas si gênante. Les personnages, eux, sont savamment écrits, et leurs interprètes leur donnent le relief nécessaire, comblant avec une certaine réussite le manque d’étonnement.


Si Midsommar ne cherche pas à surprendre son spectateur, donc, il cherche en revanche à le déstabiliser. Et sur ce point, qu'on aime ou qu'on déteste, on ne peut que reconnaître que c'est plus que réussi. Le Dieu d'Osier fait presque figure de Oui-Oui au pays des jouets, à côté du film d’Ari Aster... Usant d'une violence très brute et particulièrement crue, Midsommar grave ses images au plus profond de notre cerveau de manière à ce qu'elles n'en sortent plus, et c'est très réussi (âmes sensibles s’abstenir ! Vous êtes prévenus…). Impossible d'oublier ces visages écrabouillés, ces membres découpés et ces cadavres transformés en oeuvres d'art rituelles avec une sauvagerie ahurissante...
Déstabilisant au plus haut point, Midsommar l'est avant tout par son pouvoir de fascination : certes, c'est absolument atroce et à la limite du supportable (en fait, la limite du supportable est allègrement franchie dans une poignée de scènes), mais on veut toujours voir jusqu'où on va nous emmener, s'il est possible de descendre encore plus loin dans l'horreur, ce qui renforce toujours plus le propos du réalisateur sur le voyeurisme et le goût pour l’abject qui en découle.
En cela, Midsommar se révèle un pur film d'horreur, malgré son rejet (intelligent) des codes traditionnels du genre : il n’est pas de ces films aux jumpscares parfois faciles quoiqu’efficaces, mais plutôt de ceux qui distillent une ambiance qui dérange et nous retourne l'esprit. C'est moins effrayant qu'Hérédité, mais peut-être plus marquant encore... Rarement on aura vu au cinéma une horreur aussi pure – car réaliste – que celle de Midsommar.


Enfin, on ne peut parler de Midsommar sans toucher un mot de sa réflexion diaboliquement intelligente. Certes, c'est très classique, et ça ne redit pas grand-chose de plus que Le Dieu d’Osier, mais Aster illustre magnifiquement les dérives sectaires qu'un retour intégral et irraisonné à la nature ne manquerait pas d'engendrer, réaffirmant par l'absurde le bien-fondé de la civilisation. Pourtant, il sait rappeler cet évident constat tout en montrant également les failles de la civilisation dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Cette confrontation entre deux systèmes excessifs et imparfaits est sans nul doute le point le plus intéressant de Midsommar, qui sait placer chacun de ces deux systèmes face à ses propres contradictions.
Posant plus de questions qu’il n’y répond, le film d’Aster mérite sans nul doute plusieurs visionnages afin d’en saisir toutes les fascinantes ramifications. Interrogeant sans cesse notre rapport à la mort, à la nature et, de manière générale, à l’inconnu, mais aussi notre part de responsabilité face à l’inacceptable (mais à partir de quand juge-t-on que quelque chose devient inacceptable ?), Midsommar n’a de cesse de brouiller tous nos repères pour nous placer au centre de ce questionnement puissant. Car en effet, jusqu’où peut-on en appeler à la différence des cultures pour justifier des actes apparemment innommables ? Comment réagir face à ces derniers ? Le problème vient-il d'une barbarie objectivement condamnable ou de notre culture bornée qui veut imposer ses codes aux autres ? Qu'est-ce qui est préférable entre l'individualisme égoïste de notre société et le communautarisme apparemment rassurant du petit village de Harga ?


Prêchant par l’image plus que par la parole, le film d’Ari Aster tient sans aucune peine ses 2h30, ne basculant jamais dans l’ennui, et témoignant sans cesse d’une subtilité étonnante. On ne pourra, bien sûr, empêcher le spectateur de se demander légitimement au sortir de ces 2h30 si cet étalage de violence et d’horreur était vraiment nécessaire et s’il lui a véritablement élevé l’âme. Pourtant, Midsommar déploie un mécanisme d’une telle intelligence qu’on préfère ne guère se poser la question pour goûter à sa juste valeur un spectacle certes très difficile à supporter, mais qui suscite une réflexion d’une force dont peu de réalisateurs peuvent se réclamer.
Pour prolonger la réflexion, on ne peut que recommander de se tourner vers le très sous-estimé A Cure for life de Gore Verbinski, qui a le mérite d’être sans doute encore plus élégant visuellement (c'est dire !), et tout aussi profond, pour qui aime décrypter les symboles.

Tonto
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2019

Créée

le 18 juil. 2020

Critique lue 2.2K fois

19 j'aime

9 commentaires

Tonto

Écrit par

Critique lue 2.2K fois

19
9

D'autres avis sur Midsommar

Midsommar
trineor
9

Le sacre de l'été

Le plus immédiatement troublant devant Midsommar, c'est sans doute – comme à peu près tout le monde l'aura relevé – de se retrouver face à une œuvre horrifique toute faite d'été, de ciel bleu, de...

le 3 août 2019

202 j'aime

61

Midsommar
Mr_Purple
5

La secte où on n'y voyait pubien

Tout était bien parti pourtant : un prologue efficace et puissant, une mise en scène froide et chirurgicale à la Shining qui sait captiver et créer une ambiance joliment anxiogène, et la présence à...

le 1 août 2019

192 j'aime

31

Midsommar
takeshi29
9

L'horreur est-elle moins pénible au soleil ? (A peu près Charles Aznavour)

En introduction disons-le tout net, je ne fais pas partie de ceux qui attendaient ce "Midsommar" conquis d'avance, n'étant absolument pas un adorateur du déjà culte "Hérédité", dont la mise en place...

le 1 août 2019

88 j'aime

32

Du même critique

Solo - A Star Wars Story
Tonto
8

Mémoires d'un Han

Dans les méandres de la planète Corellia, où la population a été asservie aux ordres de l’Aube écarlate, organisation au service de l’Empire, un jeune homme, Han (Alden Ehrenreich) tente de s’évader...

le 24 mai 2018

79 j'aime

32

Hostiles
Tonto
9

La fantastique chevauchée

1892, Nouveau-Mexique. Vétéran respecté de l’armée américaine, le capitaine Joseph Blocker (Christian Bale) se voit donner l’ordre de raccompagner le chef cheyenne Yellow Hawk (Wes Studi), en train...

le 20 mars 2018

78 j'aime

15