Chasse au lapin ou chasse au Domhnall Gleeson ?

J’ai attendu plusieurs semaines avant de m’exprimer au sujet du dernier né des studios SONY car étant ressorti de l’expérience avec une rage intérieure qui m’aurait donné envie de crucifier des rongeurs avec des épingles à linges sur un épouvantail.


Et avant de dire quoique ce soit qui ferait croire que cette critique n’est qu’un ébauche de haine et de colère irréfléchi, je tiens quant même à dire que : lorsque j’écris un texte sur un film, une série, un animé japonais ou même un album musical, c’est avant tout par volonté de m’exprimer et parce que je pense, comme d’autres membres du site sur d’autres films, que j’ai des choses qui méritent d’être dites ou redites quitte à enfoncer des portes ouvertes ou susciter l’incompréhension de ceux qui voit cette adaptation de la bande-dessinée pour enfant de Béatrix Potter comme un film de pâques innocent et rigolo simplement parce que la BA montre des lapins mignons tourner en ridicule un méchant fermier qui n’aime pas ce qui est mignon.


Alors oui, je me doute qu’une bonne majorité des gens qui ont payés pour voir ça au cinéma ne sont pas cinéphiles. Oui, je me doute qu’un enfant qui a moins de 10 ans se laissera facilement bercer par ceci et que les parents n’essaieront pas de gratter la couche de plaque sous leurs yeux pour voir plus loin. Et oui, c'est vrai qu'un seul avis ne va rien changer au résultat du box office actuel.


Mais quand je vois qu’il y a des groupes de haineux qui vomissent encore et toujours sur Libérée Délivrée de La Reine des Neiges, dégueulent leur mépris sur Les Derniers Jedis de la saga Star Wars au point de proposer une pétition pour annuler ce film et de souhaiter la mort à Rian Johnson, pinaillent sur la présence du casting féminin dans le reboot de S.O.S. Fantôme ou charcutent une comédie musicale sorti sur notre territoire juste parce que c'est une comédie musicale… je crois qu'on dira jamais assez qu'il faut cesser les conneries au bout d'un moment.


Le premier facteur qui fait tâche à Pierre Lapin, c’est sa manie de se croire malin à ré-appliquer la formule Shrek mais sans en comprendre la substance : celle de se moquer de la figure du conte en se croyant cool et moderne. Dés l’introduction après que le logo Sony Picture Animation et Columbia Pictures, 20 secondes passent seulement pendant que les oiseaux chantent, se posent au sol… et boum : musique qui se coupe, Pierre Lapin qui rentrent dans le groupe comme une boule de bowling et la narratrice qui nous dit clairement que ça ne sera pas ce genre d’histoire.


OK alors déjà, quant tu veux tourner un conte en dérision et le modernisé, ne pas le dire et laisser le spectateur le découvrir, c’est mieux. Deuxièmement, habituez vous à ce que la musique soit coupé puis relancé pour vous dires quand rire parce que c’est l’un des principaux avertisseurs de mauvais gags du film, et troisièmement… dernièrement les films qui annoncent ce genre de chose comme Deadpool qui disait qu’il ne serait pas un film de super-héros dans la norme, c’est pas des bons films.


D’autant plus qu’un divertissement familial ne sera jamais bienveillant si on ne peut pas s’attacher ou rire avec les héros qu’il met en scène. Pierre Lapin est vendu comme un héros cool et rebelle mais il agit de la façon la plus irresponsable et immature possible jusqu’aux dernières secondes du film en mettant constamment sa famille en péril pour voler la nourriture du jardin du vieux McGregor (joué par un Sam Neill à qui ce film ne rend absolument pas honneur) et allant jusqu’à se vanter de la mort du fermier après que celui-ci ait fait un arrêt cardiaque. Alors d’accord celui-ci n’avait rien pour être aimable, mais se vanter de la mort d’un personnage même si ce n’était pas une crème, ça aussi c’est digne d’un odieux salopard en plus d’être terriblement malsain et dérangeant.


En parlant de malaise et de perturbation, je pense ne pas avoir autant de gêne devant un cabotinage d’acting que celui de Domhnall Gleeson qui ferait oublier ceux de Jared Leto dans Suicid Squad ou de Johnny Depp dans Alice de l’autre côté du miroir. D’abord parce que ce qu’il joue n’est pas un personnage mais parce qu’il représente à lui seule la tare monumental du film : celui de se donner un aspect cartoon de dessin animé avec cette pâle imitation de l’arroseur arrosé par sa cible, comme Bip Bip et Coyote chez les Looney Tunes pour un exemple célèbre… sauf que ces cartoons durent que quelques minutes et font dans la simplicité en sachant de réinventer et se doser, pas 1 heures et 30 minutes avec l’hystérie d’un mauvais comédien de théâtre qui ne sait que faire le clown pour amuser la galerie sans rien derrière.


Je ne vais pas m’amuser à ressortir des exemples de bons films ou séries qui utilisent l’humour à bon escient comme je l’ai fais dans ma critique de Moi, Moche et Méchant 3. Mais de ce que je sais, pour qu’un gag soit bon ou que l’humour soit réussi, il y a au moins 3 facteurs qui font que ça sera drôle ou non : l’effet de surprise, le dosage (les blagues les plus courtes sont les meilleurs, on le rappellera jamais assez) et la logique du contexte ou de la démarche entreprise par une œuvre. Ce qui fait par exemple que The Grand Budapest Hotel, Chérie j'ai rétréci les gosses ou Le Dîner de Cons, pour ne citer qu'eux, sont au moins des comédies bien écrites, drôles et même inventives.


Will Gluck n’y a tout simplement pas recours, ou alors presque jamais. Ce dernier va d’ailleurs suivre l’horrible exemple de Raja Gosnell avec ses Schtroumpfs en ne jouant que sur un rythme unique en y allant ici à fond la caisse, un seul tempo dans lequel vacarme cacophonique et gag pipi/caca se réunissent encore une fois auprès de la bande animale campagnarde (le cochon qui crie face à Domhnall Gleeson, 2 fois de suite et c’est répété… il est ou le gag et pourquoi l’étirer ?).


De Pierre et Jeannot Lapin sortant par la braguette du pantalon du vieux McGregor pour s’infiltrer dans le jardin, en passant par les sœurs de Pierre (interchangeables et insignifiantes au possible) et leurs bouffonneries familiales sans fond et une Rose Byrne aveugle et dont la tolérance s’identifie plus comme de l’inconscience.


Mais je pense sincèrement qu’on atteint l’extrême limite de l'indécence


lorsqu’on voit Pierre, ses sœurs et son cousin tenter de tuer McGregor fils en lui envoyant des mûres à la gueule afin de provoquer un choc anaphylactique chez le concerné (petite anecdotique : c’est une scène du film qui a fait polémique auprès de certaines familles quand le film est sorti en raison du fait que la scène constitue une moquerie envers les personnes victimes d’allergie… je crois qu’ils se sont pas plaint pour les bonnes raisons).


La seule minute du film à peu près vivable voire presque correcte, est la séquence flash-back en aquarelle sur la vie de Pierre Lapin quand son père était en vie avant l’arrivée du vieux fermier McGregor. Mine de rien, l’image parle pour elle, ça prend un rythme adapté et plus posé que tout le film dans son intégralité et il y a un léger pincement au cœur qui aurait pu se faire sentir… si on ne nous avait pas montré Pierre Lapin agir comme le dernier des inconscients un peu plus tôt et qu’on ne nous le montrait pas comme la pire créature lapine animée.


Même pour la bonne qualité de la modélisation numérique, on ne peut pas laisser passer un si mauvais modèle qui ne tirera aucun enseignement de toutes ces pitreries, restera l'ignoble créature qui prend plaisir à tourmenter ceux qui dominent son territoire et gagnera le jardin sans mal alors qu’il a même failli gâcher l’existence de la seule fermière qui le protégeait lui et sa famille. Pas étonnant que l’émotion soit complètement inexistante et que les rares tentatives sont étouffés par tout le reste dont une énième tracklist hors-sujet destiné à vendre des CD.


Et croyez-bien que je pèse bien mes mots lorsque je dis que Pierre Lapin est l’un des divertissements les plus aberrants et méprisables qu’on puisse infliger au public, les familles les premières qui vont voir ce genre d’infamie devant lequel elles ne réfléchiront pas et se contentent de ce qu’il y a la surface avec cette fausse mignonnerie. Entre une absence totale de recherche dans l’humour qui sombre dans les poncifs habituels des comédies modernes nulles, une narration inexistante au profit d’un rythme sur-vitaminé par des gags de cartoon mal dosé et des personnages à qui on a remplacé leur cervelle par une machine à gueuler abrutissante (quant le love interest de Bea semble n’avoir jamais vu d’oiseau de sa vie et les analyse comme un gamin de 2 ans, c’est grave... vraiment), c’est juste bête et méchant.


Et encore une fois, le fait que ça soit un film pour enfant ne constitue en rien une excuse. Tous les publics ont droit à un minimum de respect avec les films qu’on leur propose, les enfants compris. Et Béatrix Potter en méritait indéniablement bien plus qu’avec ce conte modernisé malveillant par tout les orifices.

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le 24 avr. 2018

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