Autopsie d'une guerre absurde : pas d'héroïsme, de patriotisme, de fraternité. Juste le chaos

Platoon est selon moi un film très réussi, qui raconte avec subtilité la grande désillusion et la débâcle que fût la Guerre du Vietnam. Ici, pas d'héroïsme, de patriotisme, de fraternité militaire.


Autopsie d'une guerre absurde où a régné le chaos absolu :


LA DESILLUSION :
L'Amérique, forte de ses victoires successives durant les 2 grandes Guerres Mondiales, essuie avec ce conflit, un revers sans précédent. Deux décennies de stratégies militaires inadéquates, qui conduisent à un enlisement dans un conflit qui n'a pas de sens et à la perte de 57 000 soldats et plus de 153 000 blessés. Une tragédie humaine, d'autant plus abjecte qu'elle aurait pu être évitée.


C'est cette désillusion et cette absence de sens qui est subtilement filmée par Oliver Stone, ancien engagé volontaire au Vietnam. Le réalisateur choisit de raconter le conflit, à travers les yeux du jeune Chris Taylor (Charlie Sheen), jeune homme idéaliste parti servir son pays, pour la bonne cause.


C'est sa voix-off qui nous guide dès les premières minutes du film, pour nous faire comprendre l'absurdité de son quotidien. Au bout d'une semaine, à creuser des trous, faire des patrouilles, attendre l'ennemi qu'il est impossible de voir, tant la jungle est épaisse; le jeune homme prend conscience de l'absurdité de son combat et de sa présence. Et nous adresse ce terrible constat : "L'Enfer, c'est la suppression de la raison [...] J'ai fait une bêtise en venant ici"


Chris se retrouve dans une section militaire ("platoon" en anglais) aux côtés de jeunes hommes tout aussi inexpérimentés que lui. C'est non sans dépit qu'ils les décrit comme des "rebuts de la société" envoyés au combat, et qui, à défaut de finir en charpie humaine, deviendront des vétérans tout aussitôt retombés dans l'anonymat, et sans aucune reconnaissance de leur sacrifice patriotique. L'Amérique a choisi d'envoyer au combat des troufions sans valeur.


LA DEBACLE :
A cette ambiance d'amateurisme et d'impréparation militaire, qui font le terreau de l'échec à venir, s'ajoute une lutte intestine entre 2 chefaillons, magistralement interprétés par Willem Dafoe et Tom Beranger. On sent que ça va saigner entre ces deux-là.


Et lorsque l'assaut est donné contre l'ennemi, identifié tant bien que mal dans la jungle hostile et sournoise, la dissension gagne très vite dans les rangs de soldats. L'ennemi Viet-Cong est coriace, tapi dans l'ombre, dans des bunkers et des sous-terrains et ne craint pas la mort. Il faut frapper fort, balancer du napalm, jeter des grenades, tirer n'importe où ... Débâcle totale et sentiment de grand n'importe quoi : c'est chacun pour sa peau, on est loin du bel esprit Band Of Brothers.


Les conditions de combats exécrables, insupportables achèvent de briser le moral des ces troupes : il faut vivre, dormir et combattre sous la pluie, dans la boue, se faire dévorer par les insectes, rencontrer des serpents et autres animaux tout aussi sympathiques.


Et lorsque la section militaire tombe sur un village probablement aux mains des Viet-Congs, les gars pètent littéralement un câble. Ne sachant pas vraiment ce qu'ils doivent faire de ces prisonniers (dont la plupart sont des femmes et enfants) - et donc protégés par des règles militaires et des conventions internationales - certains soldats de la section s'arrogent le droit de tuer, en prenant littéralement leur pied en le faisant et avec l'assentiment de leurs supérieurs. D'autres prennent à part une petite fille, pour tenter de la violer et Chris Taylor les chope in extremis en leur disant "Bordel, mais c'est une gamine". Un bref aperçu de la déshumanisation de ces hommes qui ont franchi la ligne rouge (et dont le New York Times se chargera en son temps d'en dénoncer les abjections perpétrées)


La folie s'empare des troupes (moment terrible et superbe de confrontation entre Willem Dafoe et Tom Beranger ... à découvrir !), les gars se font tirer dessus comme des lapins et tentent un impossible repli, avant de se faire bombarder par leur propre camp (ordre est donné par un GI gradé de bombarder la zone de combat, puisque la maigre section encore en vie est encerclée de toutes parts).


Chacun rêve de se barrer de cet Enfer sur Terre : dans la folie absurde de ce combat inégal, on voit un gars se planter un couteau dans la jambe pour être déclaré blessé ... et pouvoir enfin se tirer de là !


Chris, blessé au combat, est finalement hélitreuillé et à mesure que son hélicoptère prend de la hauteur, assiste à cette scène qui résume bien le non-sens de cette guerre. Des dizaines de corps jonchés au sol, où s'entassent pêle-mêle combattants américains et viet-congs, des villages qui ne sont plus que ruines et quelques survivants qui n'aspirent qu'à quitter ces lieux maudits.


Un grand film indispensable, si l'on veut comprendre - à hauteur d'homme et de soldat - cette terrible guerre du Vietnam, qui fût le premier grand désastre militaire que l'Amérique ait connu et qui hante encore les Américains.


D'ailleurs, son spectre est toujours bien présent : la guerre d'Irak est considérée comme un second Vietnam. C'est dire.

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le 30 avr. 2018

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Glaminette

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