Décidément! J'ai pour René Clément de plus en plus les yeux de Chimène. J'avais vu et apprécié ce film il y a une dizaine d'années et la revoyure m'a procuré autant si ce n'est davantage de plaisir.

C'est en premier lieu la très bonne tenue du dvd qui me permet de siroter la superbe photo d'Henri Decaë. A ce propos, le travail créatif, tout en couleur, en modernité "pop" de Maurice Binder sur le générique est en parfaite symbiose. L'esthétique que mettent en place Clément et Decaë s'appuie sur une grande richesse chromatique. Elle est assurée par les lumières de la Méditerranée, les couleurs de l'Italie, ainsi que par une science du cadre subtile, souvent très proche des comédiens, scrutant la vérité derrière le masque de leurs regards, ou bien en créant des compositions très linéaires, picturales qui intensifient l'action ou lui donnent une sorte de hauteur, visuellement élégante. Dans la forme, ce film réserve bien des surprises, de très beaux plans qui montrent l'intelligence du metteur en scène et du chef opérateur.

Mais la coquille n'est pas vide, loin de là. Cette histoire illustre à merveille le cercle vicieux de la perversion. Qui est victime? Difficile d'y répondre, tant les personnages recèlent une humanité bien noire, bien pourrie. Entre Philippe Greenleaf (Maurice Ronet) et Tom Ripley (Alain Delon) quel est celui que l'on doit désigner comme le plus ignoble? La course est rude pour qui n'investit pas un discours marxiste à tout bout de champ. Entre le milliardaire né une cuillère d'argent dans la bouche et l'arriviste prêt à tout pour avoir la belle vie, mon cœur balance.

Les deux jeunes acteurs sont excellents, l'un dans la cruauté, dans l'acide cynique, l'autre dans la fausseté et cette espèce d'amertume qui le consume de manière sourde mais terriblement inéluctable. Entre ces deux hommes, une étrange relation est nouée dès le départ par un passé mystérieux. Il est tentant de glisser vers de la psychologie de comptoir et d'y déceler une homosexualité latente, mais je penche plus volontiers pour quelque rapport sado-masochiste, simple relation torturée. Ici il est bien question de perversion. Comment Philippe prend son pied à humilier Tom, lequel subit en attendant secrètement son heure pour trouver sa récompense?

Le monde que décrit le film avec sévérité, mais sans non plus y imposer une vision démesurément moralisatrice, est un univers bien réel, peut-être même un peu moins dégénéré que dans la réalité. Cet univers décadent ressemble à s'y méprendre à l'image que l'on peut se faire de ce qu'on appelle aujourd'hui la "jet set".

Alors forcément, le film dénonce la futilité de ces personnages avec une certaine violence. A plus d'un titre "Plein soleil" peut être considéré comme un conte moral. Cependant, il y a quelque parfum de soufre qui curieusement n'a rien de répulsif, mais bien au contraire de fascinant. Est-ce que la beauté visuelle du film cachant la laideur des personnages finit par étouffer le dégoût, par susciter cette attractivité étrange? Probablement.

La musique de Nino Rota, avec tout ce qu'elle trimballe chez le cinéphile lambda, effectue elle aussi son petit travail de sape et parvient à noyer le poisson. Italienne, savoureuse, elle enrobe le film de sonorités exquises, enjôleuses pour tout dire.

C'est là tout le film : il use de tous ses charmes pour décrire une expérience humaines des plus morbides finalement. Très belle pièce que ce "plein soleil" et qui ne peut pas déplaire. Je ne vois pas bien sous quel angle l'on pourrait l'attaquer de façon rédhibitoire.
Alligator
9
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le 14 nov. 2012

Modifiée

le 24 févr. 2013

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Alligator

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