Shining est un film ambitieux, Kubrick lui même avouait avoir tenté de créer le film d'horreur parfait à partir du livre de Stephen King qui d'ailleurs a détesté le film. Il faut dire que Shining s'est imposé dans la durée et sa notoriété s'accroit d'autant plus qu'il n'a pas prit une ride, cela même trente ans après, à l'heure où le film d'horreur s'est établit comme genre privilégié pour le public adolescent. Shining possède les mêmes caractéristiques que tout film d'horreur, à savoir qu'il se construit sur un crescendo horrifique moyennant la folie qui peu à peu envahie Jack Torrance. Mais en contrepied il s'impose comme un film à part, tant est si bien que le classer dans la catégorie "film d'horreur" semble le réduire à ceux ci.

Or Shining, n'est pas simplement ça, c'est une expérience qu'il faut vivre ou plutôt une épreuve qu'il faut surmonter. De plus le film est marqué d'un paradoxe étonnant, en même temps qu'il fait preuve d'un classicisme pur et dur, dans la justesse de la mise en scène, d'une discipline exemplaire, caractéristiques propres à Kubrick, il en ressort toutefois une forme d'étrangeté, de singularité et l'impression d'assister à une œuvre habitée et maudite qui n'a d'autres inspirations et modèles que sa propre dégénérescence. Constat qui ne se nourrit donc pas d'imperfections car il y en a pour ainsi dire aucune, mais plutôt de la forme finale et entière du film qui une fois terminé reste en tête de manière phobique.

Shining est plus qu'il n'y parait un film véritablement humain dans le sens où il se construit sur la confrontation brutale de sentiments mis à l'épreuve de leurs nudités : la peur, la colère, la folie, l'amour dans leurs expressions les plus pures, les plus caricaturales et donc les plus extrêmes. Le message de Shining est que l'homme ne peut survivre à ses pulsions sans les enfermer dans des artifices surnaturels ou du moins inexplicable, le pouvoir du shining en est la forme concrète. Il ne fait aucun doute que le film plaira au psychanalyste du dimanche par la portée ravageuse que prennent les interventions subconscientes dans la réalité et les relations de cette famille a priori comme les autres. Or toute la malice du film, c'est qu'en même temps qu'il prétend que la folie de Jack Torrance née de environnement négatif dans lequel il baigne ( isolation, froid... ), Kubrick ouvre une deuxième voie faisant écho au "don" (malédiction?) du fils Danny, qui est celle de l'irrationnel. Sans jamais écarter une piste ou l'autre, Kubrick nous ballade de l'une à l'autre à la manière d'un métronome : il nous surprend par le calme où l'on attendrait la tempête et inversement.

L'atmosphère est ainsi irrespirable, toujours sous la menace d'une frayeur qui tarde à venir, cette attente qui devient finalement plus insoutenable que la peur elle même est encouragé par la musique transcendante qui paraît dépasser la portée de nos sens, les amener eux aussi dans les horizons lointains de la folie.

De l'insinuation au sursaut dans Shining, il n'y a qu'un pas, et ce pas le spectateur le franchit à mesure que Jack sombre dans la folie : inconstant, contradictoire, effrayant, il s'installe au fil du film comme le principal motif de crainte, alors que c'était jusque là le cadre qui jouait ce rôle. Le film suggère dès le début que l'Overlook est hanté, que les précédents gardiens sont devenus fous, l'esprit de l'hôtel se serait emparé d'eux comme il s'empare progressivement de Jack. Ce dernier se mettant à parler avec un barman apparu soudainement dont on sait qu'il n'existe que pour celui qui y croit, la scène est l'une des plus grands moments de l'histoire du cinéma, car jamais un pacte avec le diable typiquement faustien n'avait été si intelligemment suggéré et mis en forme, cette scène entraine le déchainement d'apparitions appuyant la thèse du manoir hanté.


Une interprétation parmi tant d'autres, la force du film étant de toutes les rendre possible sans pour autant les confirmer, et donc laisser le spectateur à ses doutes qui se prolongent bien après la vision du film, film qu'on vénèrera ou maudira pour nous avoir ainsi confronté à nos idées et à nos peurs les plus noires.
Heisenberg
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Films d'épouvante et Top 10 Films des années 1980

Créée

le 20 nov. 2011

Critique lue 816 fois

19 j'aime

7 commentaires

Heisenberg

Écrit par

Critique lue 816 fois

19
7

D'autres avis sur Shining

Shining
ludovico
9

Le film SUR Kubrick ?

Après le flop public et critique de Barry Lyndon, Kubrick a certainement besoin de remonter sa cote, en adaptant cet auteur de best-sellers qui monte, Stephen King. Seul Carrie a été adapté à cette...

le 7 févr. 2011

191 j'aime

86

Shining
Sergent_Pepper
9

L’ode tissée de l’espace.

Le pathétique Room 237 en témoigne, tout le monde trouve ce qu’il veut dans Shining. Film d’épouvante venu s’ajouter à l’impressionnant catalogue des genres explorés par Kubrick, Shining est une fois...

le 6 juil. 2014

162 j'aime

19

Shining
Samu-L
9

gninihS ehT ed euqitirc enu tse iceC

Shining est un sacré bon film d'horreur. Kubrick décide d'utiliser le moins d' effets faciles possible pour faire peur; comme le jump scare commun à beaucoup de films du genre(je crois qu'il y en a...

le 22 déc. 2013

128 j'aime

9

Du même critique

Community
Heisenberg
10

"Totally Meta"

Dire que Community s'apprécie proportionnellement au degré de connaissance de la culture populaire américaine est partiellement faux. S'il est indéniable que le fonctionnement ultra-référentiel de la...

le 4 janv. 2012

188 j'aime

14

The Infamous
Heisenberg
10

"They shook 'cause ain't no such things as halfway crooks"

C'est peut être dur à imaginer, mais Mobb Deep n'a pas toujours eu la renommée qu'on leur connait actuellement. En effet, leur premier album Juvenile Hell, où Havoc arbore une faucille sur la...

le 4 févr. 2012

102 j'aime

8

The Master
Heisenberg
9

Complexes deux types

The Master, et c'est l'apanage des grands films tels que je les perçois, cache derrière sa perfection esthétique, sa classe et sa mise en scène d'une précision horlogère, des tournures narratives un...

le 5 déc. 2012

95 j'aime

16