Ce n'est pas nouveau, Hollywood a toujours eu une relation tumultueuse avec les auteurs qui font vivre son industrie. Les glorifiant lorsqu'ils cartonnent au box-office, les punissant lorsqu'ils dépassent les budgets où qu'ils font un bide, telles sont les invariables du métier. Concernant la marge de manœuvre, la possibilité d'être créatif pour les scénaristes, réalisateurs, chef opérateurs, etc, elle varie selon les époques et les contextes de production. Il y a tout d'abord une foule de réalisateurs interchangeables surnommés « yes-man », dont la docilité et l'impersonnalité de leur mise en scène sont très pratiques pour les studios à la recherche avant toute chose du profit. Mais il en existe d'autres aux ambitions plus plus personnelles et affirmées. Dire que ceux-ci sont muselés depuis La Porte du Paradis (1981) qui entraîna la fin du Nouvel Hollywood serait faire un sacré raccourci. Depuis, une foule d'auteurs ambitieux, comme Scorsese, Nolan, George Miller, Tarantino, etc, ont souvent pu s'exprimer assez librement avec des budgets confortables. Reste que cela marqua la fin d'une époque, et que les blockbusters actuels aux budgets toujours plus énormes au détriment des moyennes productions sont au mieux lissés, au pire voient leurs auteurs castrés pour atteindre le plus large public possible. L'ironie du sort a voulu que le plus grand castrateur de notre époque soit le seul grand studio à porter le nom de son créateur : Disney. Sa dernière engeance Solo : A Star Wars Story est représentatif d'une démarche moribonde qu'il cultive plus que jamais ces dernières années.


Il faut dire que la firme aux grandes oreilles s'est coltinée ces dernières années les échecs commerciaux les plus retentissants, à savoir John Carter (2012), Lone Ranger (2013) et Tomorrowland (2015) qui étaient tous trois des projets plutôt risqués d'auteurs singuliers (respectivement Andrew Stanton, Gore Verbinski et Brad Bird). Le studio semble s'être dit qu'on ne l'y reprendrait plus à laisser la bride aux cinéastes. Ses rachats de Pixar, Marvel, Lucasfilm et plus récemment la 20th Century Fox ne témoignent ainsi pas seulement de désirs hégémoniques, mais aussi d'appliquer une certaine méthode de production à un nombre toujours plus grand de films. Il ne se contente d'ailleurs pas de placer des yes-man derrière chacune de ses superproductions. Le fond du problème est en fait qu'il dépêche souvent des auteurs uniques en leur genre pour mieux les brider, les casser et allant même jusqu'à les virer de leur propre film. Joss Whedon, Edgar Wright et bien d'autres en ont fait les frais. Les standards visuels et narratifs imposés prennent finalement de plus en plus de place, au détriment de la volonté des auteurs. Le précédent spin-off de Star Wars intitulé Rogue One et réalisé par Gareth Edwards fut ainsi trituré par les producteurs qui éjectèrent le cinéaste pour changer une bonne partie du film. Le résultat fut miraculeusement heureux. La dernière production Star Wars qui revient sur la jeunesse de Han Solo n'a pas non plus échappé à la règle. Les réalisateurs initiaux Phil Lord et Christopher Miller qui voulaient faire du métrage une comédie dans la lignée de leurs précédents films ont été remerciés en plein milieu du tournage. Ils ont été remplacés par Ron Howard, un de ces fameux yes-man à la filmographie toutefois parfaitement respectable.


Malheureusement, et c'est là où je veux en venir, le résultat foncièrement moyen démontre que la fameuse méthode de production de Disney est en train de tuer Hollywood. Les seuls traits remarquables du film proviennent d'ailleurs à n'en pas douter de ses deux auteurs originels. En effet, l'humour et l'inventivité ludique de certaines scènes rappellent indéniablement la folie de The Lego Movie. Un robot frappadingue et remonté contre le système qui assène un « I want equal rights ! » à son possesseur noir-américain Lando Calrissian, la scène d'introduction ébouriffante, celle de l'attaque du train qui défie les lois de la gravité et enfin la rencontre burlesque entre Han et Chewie nous rappellent que les deux compères n'ont rien perdu de leur talent. Voilà à peu près les résidus de cinéma dont il faut se contenter. Le reste n'est qu'un amoncellement de lieux communs, à grand renfort de trahisons, faux-semblants, méchant-très-méchant, etc. Si l'écriture pathétique des personnages parvient à faire illusion un temps, le dernier acte fait tomber les masques et dévoile toute la vacuité de la narration avec le goût amer du cliffhanger qui laisse entrevoir une suite. Quant à l'aspect visuel, il laisse la même sensation de tiédeur que le reste, tant l'esthétique ne se permet même pas les quelques pas de côté marquants des épisodes VII et VIII.


Voilà en somme de quoi s’inquiéter sur l'avenir du cinéma hollywoodien à grand spectacle. D'autant que le succès des Marvel à la chaîne a donné des ailes à Warner Bros pour appliquer la même recette avec DC Comics. Cela donne de furieuses envies d'enrayer la machine. L'espoir est peut-être du côté du public, qui semble bouder ce Star Wars jusqu'à faire perdre de l'argent à Disney. De leur côté, on ne compte plus les auteurs, de Scorsese aux frères Coen, les sœurs Wachowski, David Fincher, Alfonso Cuarón, jusqu'à Nicolas Winding Refn qui se tournent vers Netflix et le format des séries télévisées pour leurs prochaines réalisations. Ils semblent y trouver un nouveau terrain fertile d'expression artistique. Il y a là largement de quoi faire vaciller les pachydermes de l'industrie...

Marius_Jouanny
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le 10 juin 2018

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Marius Jouanny

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