Stoker est comme une équation ratée. De belles et puissantes formules y côtoient d'impardonnables erreurs de calcul. Le film échoue alors près du but, jamais sur la bonne ligne, toujours en parallèle, en-deçà, à côté.
Le générique est magnifique. Park Chan-Wook frappe fort dès le départ, nous cloue à notre siège. On se dit que le spectacle va être grandiose. Mais on comprend rapidement que le réalisateur coréen roule au diesel. Les scènes d'exposition se succèdent sans relief. On patiente parce que c'est beau. La maîtrise visuelle et sonore est impressionnante, Mia Wasikowska bouillonne, on le sent, et nous aussi. On attend que ça démarre vraiment. On attend encore et ça ne démarre jamais. Quand le nœud du récit nous est dévoilé, on se dit "ouais, alors c'est ça, ok".
Quel est le problème ? Quels sont les problèmes ? D'où vient l'erreur ? L'écriture en premier lieu, c'est évident. Cette histoire de petite fille abandonnée et fantasque, moquée au lycée, plus dure qu'il y paraît, sa mère alcoolique, son oncle revenu de nulle part, les secrets de famille... l'immense propriété, le cours de tennis, on a vu ça des centaines de fois, non ? C'est hitchcockien ? Ah, d'accord, dans ce cas [...]. Bref, cette histoire n'a aucun intérêt. Mais ce n'est finalement pas ça le problème [on a vu, chacun le sait, comment le talent de Brian De Palma transformait une histoire absurde en pépite - Passion]. Le problème vient finalement de cette mise en scène sublime, dans laquelle chaque plan est subjuguant [une idée par plan, écrivent certains collègues blogueurs], qui finit par se regarder elle-même, ayant oublié en route [et très vite] toute idée de rythme, de rupture de ton, d'audace : Stoker est sans surprise, ne s'emballe jamais, ne se laisse jamais aller.
L'autre erreur se niche dans le casting. Si Mia Wasikowska est brillante et semble capable de nous mener n'importe où, si Nicole Kidman est parfaite en mère oublieuse, oubliée et perdue, il n'en est pas de même du fadasse Matthew Goode. Il fallait, pour ce rôle d'oncle troublé et troublant, un acteur de forte stature, un type qui dévaste tout, un prédateur. Totalement dépourvu de charisme, raide comme un bâton, pas effrayant pour un sou, Matthew Goode nous la joue catalogue de la Redoute, alors qu'il nous fallait de la haute couture, un Michael Fassbender, un James Franco, un tigre ! Le déséquilibre est alors fatal au récit et au film tout entier. Mia Wasikowska porte tout ce qu'elle peut, mais il n'y a personne en face.
Voilà donc un film plein de qualités formelles [n'oublions pas la très belle partition de Clint Mansell et Philip Glass], mais qui ne nous emporte jamais, jamais passionnant, jamais troublant, pas même intriguant, pas indigeste, juste raté.