Tout part du carré Sator, ce mystérieux fragment de pierre sur lequel tiennent des palindromes latins, retrouvé à Pompéi. Un jeu, une énigme, ce genre de trucs dont Nolan raffole. De ces quelques mots, il va en faire un film : opéra d'abord avec sa scène d'ouverture orchestrale, puis par le nom des personnages, jusqu'à Tenet, titre du film, qui fait lien, qui tient le tout, comme la clé de voute d'une complexe architecture. Toutes les obsessions de Nolan sont là.


Nolan est toujours obsédé par l’illusion. Thème on ne peut plus lié à celui du temps, qu’il a exploré sous toutes ses formes par le passé, avec Le Prestige, Inception, interstellar et même sa narration éclatée du très bon Dunkerque.


Il s’est radicalisé. Il pousse avec Tenet sa vision jusqu’au bout, livrant un film conceptuel presque abscons, à l’image froide et aux personnages sans aspérités.


Et c’est le problème majeur du film. Film qui s’amuse de palindromes et de boucles temporelles sans se soucier des personnages et de l’émotion. Le héros du film, appelé d’ailleurs le protagoniste, renvoyant à sa vocation de personnage vide de tout sens, corps testostéroné, n’a aucun passé, aucune vie autre que celle de bastonner des russkov vendeurs d'armes nucléaires - oui on dirait des méchants de James Bond ! Pas même lorsqu’il sauve une femme battue, Kat, et un fils prisonnier de son père.


Le protagoniste se veut à l’évidence une sorte de James Bond futuriste. Taiseux et classe, mais aussi plus sombre et froid. Une scène, avec le grand méchant du film, un russe incarné par un Kenneth Branagh cabotin - avec Hercule Poirot l’acteur devient le spécialiste des accents -, illustre cette veine : Italie luxueuse, le soir sur une terrasse, des petites piques entre le gentil et le méchant et un humour tout britannique.


La musique n’aide pas non plus à l’immersion émotionnelle. Elle glisse sur les images et sert l’action, qui jamais ne s’arrête.


Puis il manque de l’ampleur à la mise en scène. Peu de scènes sont marquantes si ce n’est cette ouverture d’opéra, très efficace en terme d’action et immédiatement prenante avec sa multitude de figurant et son lieu gigantesque. La bataille finale, dans un lieu quasi vide de décor, s’attarde un peu et pèche par manque de lisibilité - là ou celle d’Inception était limpide. On ne voit pas les ennemis et on est assommé de retournements de situations, chassé- croisé armé virtuose mais un peu vain. Nolan a beau multiplier les effets pratiques et les prises de vue réelle, comme cet énorme avion qui écrase des voitures dans une scène d’action efficace, on ne comprend pas forcément la finalité de tant d’argent dépensé.


Les lieux sont peu mémorables, peu spectaculaires : des ports, des aéroports, des autoroutes ; des espaces mondialisés. C’est voulu mais c’est un monde laid qu’on peine à rendre esthétique et agréable. Seul décor qui sort du lot et qui me fait plaisir : Mumbai et ses tours exubérantes. L'Inde est trop peu montrée au cinéma hollywoodien !


La réalisation millimétrée et froide de Nolan le dessert, en l’absence de grands moments d’émotion.


Mais le problème du film tient surtout dans son scénario : d’un côté un concept difficile à appréhender, de l’autre des personnages lisses. C’est alambiqué sans être profond. Interstellar passait le même message sur un futur qui parle au passé, sur la responsabilité de notre génération dans la destruction du monde, d’une façon plus élégante et simple. Les boucles temporelles aboutissent au même résultat que d’autres films et c'est un peu décevant.


Si les théories sont vraies, que Neil est le fils de Kate, venu du futur pour changer le passé, alors on est ni plus ni moins dans le scénario de Terminator. Je trouvais que ce personnage, Neil, incarné par l’acteur du moment, Robert Pattinson, était intéressant jusqu’à cette théorie. Surtout la dernière scène avec lui où enfin l’émotion pointe le bout de son nez : un ami qui se sacrifie. Maximilien, l'enfant, serait Neil l'adulte. Neil étant en lien (jeu de mots) avec Maximilien puisqu'il s'agit des quatre dernières lettres inversées du prénom. Ce film est résumé par ce genre de petites énigmes et trouvailles. Nolan se complait un peu dans ce genre d'effet de manche, en vrai prestidigitateur.


Un film compliqué n'est pas forcément un bon film. David Lynch fait des films alambiqués mais compense par un style et une patte unique, par des ambiances. Kubrick aussi faisait des films complexes et à double sens mais toujours il y avait quelque chose de fabuleux à voir l'écran. Ici, Nolan nous montre la laideur de la mondialisation, ces non-lieux comme dirait Marc Augé, peuplé d'êtres pressés, de fantômes. Il y a quelque chose de l'ordre de l'artificialité à toute cette fausse complexité et à ce gris qui prédomine, de l'ordre de la machine, du Terminator, De ce futur sans âme, tant sur la forme que sur le fond (apocalyptique).


Resta alors ce goût prononcé pour le jeu, un film à énigme, qui ne cesse d'être en miroir et d'être volontairement abscons et faussement complexe. On est presque réduit au jeu de mots. J'aime les mots croisés, mais devant tant de froideur, je suis un peu resté de marbre.

Tom_Ab
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le 22 sept. 2020

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Tom_Ab

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