Un concept ambitieux qui cache un James Bond délavé

Je dois avouer que je n'avais pas vraiment envie de voir ce film, notamment à cause de la bande-annonce que j'avais trouvé sans intérêt et pour (un peu) mon petit côté anti-conformiste, mais les circonstances (je sortais pille à l'heure du début de séance de ce Tenet) et la curiosité aidant, j'ai finalement sauté le pas et à ma grande surprise l'expérience n'a pas été si désagréable que prévue. Mieux même, le film s'est révélé assez divertissant alors que ce que je m'étais fait royalement chier devant Batman, Le prestige ou Inception (Memento en revanche était sympathique bien que manquant comme les autres films de chaleur humaine). Ni vraiment détracteur, ni admirateur de Nolan (je me fous généralement de qui joue ou réalise un film, ce qui compte est le résultat), je pense ne pas avoir abordé ce film avec des attentes fortement teintées de sentimentalisme ou des prophéties auto-réalisatrices comme "c'est compliqué", etc.


En réalité même, Tenet est un film assez explicite et je m'étonne ainsi de lire que ce serait un film "incompréhensible" ou "tordu". Au contraire, non seulement les concepts scénaristiques


de la poule avant l'oeuf,


et du retournement de situation (attention spoil)


en fait tu t'es recruté toi-même


sont ultra classiques, mais en sus le cinéaste recolle dans la deuxième partie tous les morceaux précédemment montrés, ne laissant tout au plus que des cafouillages graphiques ou ellipses sasn importance comme trous à combler. Alors pourquoi certains trouvent ce film "compliqué" ? Je pense tout simplement que beaucoup de personnes se focalisent trop sur les détails et y accordent beaucoup de crédit. Or, il est assez manifeste que beaucoup de choses dans ce film ne tiennent tout simplement pas la route ou sont volontairement floutées car elles n'existent tout simplement pas sur le script. Rien que physiquement le principe de l'inversion est représenté de façon très souvent incohérente...ce sur quoi je n'ai personnellement rien à redire puisque je préfère un film qui construit bien globalement sa logique(et qui reste regardable !) même si les détails ne tiennent pas totalement plutôt qu'un film qui essaie de tout justifier et finit au contraire comme une bouillie abracadabrante.
Abracadabrant, Tenet l'est dans son interprétation très libre de principes scientifiques, mais on ne peut pas dire qu'il soit une bouillie (du moins dans son ensemble, je reviendrai là-dessus plus tard) et le réalisateur a su se concentrer sur la représentation artistique, donc essentialiste, de son concept. A ce titre, le film réussit parfaitement le pari de porter son principe et sa logique générale à l'écran, comme le montrent les scènes d'action qui illustrent ce principe, notamment


le combat du héros contre lui-même que l'on voit des deux côtés


Le film multiplie en effet les scènes assez classieuses et élaborées de combats dans deux directions temporelles...c'est même sa force première. Quant au meta-scénario, comme je l'ai expliqué l'ensemble est un classique assez efficace avec les grandes lignes qui tiennent la route même si le film a tendance à saturer l'écran de détails et de scènes illisibles à certains moments, comme pour mettre un écran de fumée devant des raccords foireux et donc sur un fond qui n'existe tout simplement pas dans le scénario papier...sur des trous en somme.


Ainsi, si Tenet réussit son pari artistique et essentialiste sur sa mécanique de fond (l'inversion temporelle), ayant même des airs de jeu vidéo à la Quantum Break (qui a beaucoup de points communs dans la forme, etc. même si le format ludique permet en sus de développer le lore au prix de beaucoup plus de remplissage), le principal problème de ce film tient au récit des évènements en lui-même qui a tout d'un vieux James Bond, sans l'humour, sans les punchlines, sans les super gadgets.


De fait, si on essentialise le récit à ce qui apparaît à l'écran - en dehors donc des enjeux supérieurs liés à cette fameuse inversion (enjeux finalement peu présents et condensés au début et à la fin avec très peu au milieu) - on se retrouve avec une sorte d'agent secret/militaire qui va faire la chasse à un méchant Russe un peu bourrin avec ce que cela implique de détours que le récit a du mal à justifier (les décisions dans ce film sont très peu motivées, on va dans un entrepôt d'aéroport juste pour voir et au passage on va faire exploser la devanture d'un hangar, etc. tout est prétexte à des scènes d'action comme dans les niveaux de jeux vidéos vaguement cousus entre eux), donnant l'impression que les deux compères du film avancent comme deux mercenaires paumés qui naviguent ) vue, sans moyens ni entourage, alors qu'ils sont censés mener une mission capitale. En clair, on a davantage l'impression d'assister à une suite de scènes d'action à la progression hasardeuse plutôt qu'à une vraie mission. Et même quand le "retour" scénaristique du milieu arrive, on retrouve quand même cette improvisation et un bordel volontaire voulu pour cacher la misère. Entre ces scènes d'action, nous aurons quelques rares discussions sur ce qui se passe, avec parfois la confirmation que les scènes précédentes ne servaient à rien, dans un style d'espionnage efficace bien que radoteur. Pour finir, afin de clore ma comparaison à un James Bond, on retrouve la femme de gangster pour laquelle le coeur du héros va vibrer, justifiant des revers de fortune pour sauver la belle des griffes du méchant (empathie qui ne s'applique pas aux figurants bien entendu). Cette partie est honnêtement la plus faible du film : on se demande ce qu'elle fait là, tout ceci sonne très froid et décalé, elle n'est en rien reliée aux enjeux du film ni mis en perspective. Comme dans James Bond, ce personnage avec son fils invisible semble davantage faire office d'objet indispensable du film Hollywoodien sans prendre sa place dans l'histoire, même pas à une classique


romance, ni même à un approfondissement du héros


A l'image de ce personnage, les liens entre les protagonistes de l'histoire sont très superficiels (pour ne pas dire quasi inexistants) et ne sonnent pas très naturels. Aucun personnage ne dégage le moindre charisme et les rapports sont trop polissés pour être crédibles. Vraiment ici tout est trop pris au sérieux et premier degré, les personnages n'ont pas d'affects et n'interagissent pas émotionnellement ensemble, semblant davantage poser que vivre une aventure humaine. Les très rares taquineries sont bien désincarnées et tombent à l'eau de même que la sympathie pour madame glaçon de notre héros bien morne. Attention je ne demande pas de la mièvrerie ou de l'excès de sentiments, au contraire, mais ici on est plutôt dans l'exact opposé : le rien. Là est d'ailleurs la différence avec un James Bond qui, même s'il reste très artificiel, sait distiller du piquant et de la tension entre les personnages qu'il développe ; dans Tenet, tous les personnages semblent être des anonymes sortis de clichés d'action des années 2000 sans le kitsch charmant qui va avec et qui fait toute la différence.


Au final il est donc assez difficile de juger ce Tenet qui d'un côté réussit bien sur le volet technique et artistique avec un concept bien (voire très bien) porté à l'écran du point de vue de l'action et globalement bien mené (même si les ressorts de l'intrigue sont déjà connus), de l'autre le récit en lui-même des évènements et des personnages ressemble à un James Bond passé à la machine à laver et ayant perdu avec elle tout ce qui lui donne de la couleur, donnant l'impression que le réalisateur a voulu porter un concept à l'écran et s'est focalisé là dessus puis s'est retrouvé contrait d'en faire un vrai film pour le grand public et a torché ainsi une histoire éculée pour remplir le cahier des charges. A cet égard, ma note oscille entre 5 et 6 mais je choisis le 6 au regard de mon sentiment global au sortir de la salle : au demeurant, je ne me suis pas ennuyé et le soin graphique apporté aux scènes d'action et à leur revisite en regard du concept force tout de même le respect.

Foulcher
6
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le 24 août 2020

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