Manuel d’apprentissage – Jour 13 (encore)

--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au quinzième épisode de la quatrième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_2_King_Crocs/2478265
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


Le film suivant était fort heureusement radicalement différent de celui proposé plus tôt dans l’après-midi. Les vieux riches de la séances précédente sont rentrés boire leur tisane, nous laissant entre créatures nocturnes. La salle n’a pas beaucoup désempli, mais le changement de public me met à l’aise. Comme convenu avec la reine, nous nous asseyons l’une devant l’autre, pas parfaitement à coté pour ne pas provoquer les ardeurs des plus belliqueux de nos disciples, mais pas non plus trop éloignées, pour confirmer avec fermeté que nous ferons bien ce que nous voudrons, et que notre amitié ne concerne que nous. De toute façon, le film était bien trop saisissant pour échanger des messes basses avec son voisin de fauteuil. 
Nous voici plongés dans un film des années 90, et dans son image en noir et blanc absolument impitoyable. Ses noirs terrifiants de noirceurs s’opposent violemment à ses blancs resplendissants. Entre les deux, les visages pâles de nos amis vampires, sillonnant les abysses nocturnes, ou dévorés par d’obscures lunettes de soleil, étincellent comme des joyaux. Pourtant, on est loin des films de super-héros vampiriques, à la *Blade*, *Underworld* et compagnie (sans parler de *Twilight*, qui fait briller ses vampires de manière franchement moins subtile). Le vampirisme est crument traité comme une maladie, sale, intense, et définitivement incurable (même pas la mort ne pourra abréger les souffrances des misérables). On suit cette jeune fille qui aurait du être discrète et banale si elle n’avait été frappée par ce fléau, un soir ou elle traînait un peu trop à rentrer chez elle. Sa fragilité et son intelligence discrète lui donne le pouvoir de nous rendre accro à elle autant qu’elle devient accro au sang. Nous souffrons ses souffrances, physiques et psychologiques, puis sa soif et sa culpabilité, avec bien plus d’intensité qu’elle n’en laisse elle même transparaître à l’écran. Et quand finalement elle se révèle, s’élève en reine cruelle, nous ne ressentons qu’une immense joie pour elle, sans compassion aucune pour les victimes collatérales. En plus d’être une œuvre de poésie superbe, le film se fait essai de philosophie avec tout autant de réussite. Donner au vampire de ce soir la qualité d’étudiante en philosophie amène un renouveau au vampire penseur, analyste de sa propre situation, torturé en réflexion entre le bien et le mal, entre la vie, la mort et l’immortalité. Devenir vampire lui apporte alors une nouvelle façon de penser, plus impitoyable, plus objective, sur elle-même comme sur le reste du monde. Sa façon, systématique, d’implorer ses futures victimes de lui demander de s’en aller, et la façon, tout aussi systématique, desdites victimes de s’y refuser, montre avec une douloureuse brutalité l’incapacité de l’espèce humaine à réclamer la solitude, quand bien même elle serait salvatrice. Pour autant notre héroïne du vampirisme moderne n’en perd ni son humanité ni ses tortures internes propres à celle-ci. Preuve en est de cette dite manie de toujours supplier ses victimes de lui demander le salut, ou cette désespérée désescalade finale, pour tenter à tout prix et sans aucun espoir de réussite, de s’échapper de l’ennui terrifiant que promet l’immortalité. Cet ennui abyssal auquel sont promis toutes les créatures de la nuit est une proposition assez peu abordée au cours de tous les mois-monstres que j’ai déjà traversé. C’est une réflexion juste et curieusement fuie de tous les réalisateurs précédents, qui auront déguisé cette torture en donnant à leurs héros ou anti-héros une vie rocambolesque, bien remplie de péripéties et de dangers en tout genre. Surtout, beaucoup proposaient la mort d’au moins l’une de ces créatures, pour offrir une relativité à l’immortalité, une issue de secours à la vie éternelle. L’ennui serait-il un fléau si douloureux qu’on se refuse tous à l’affronter plus que la mort ?
Il est vrai qu’avec toutes ces ères d’existence je ne m’étais jamais posée la question de l’ennui plus douloureusement que ce soir. J’ai traversé bien sur, plusieurs fois, des siècles entiers de vide, à attendre simplement des jours meilleurs. C’est à la fois la bénédiction et la malédiction de l’éternité : Nous savons que nous verrons des jours meilleurs, car nous verrons encore autant de jours que l’univers voudra bien en faire, mais nous sommes condamnés à les attendre parfois sans savoir si cela se compte en semaines, en années ou en millénaires. En même temps, je me trouve un peu cruelle de me questionner sur à quoi bon vivre, entourée de tous mes petits louveteaux et de tous nos Némésis ailés. Le deuxième fléau pointé par le film de ce soir, la solitude, est bien loin de me frapper en ce moment. Je suis même trop entourée, trop sollicitée, j’étouffe de toutes ces responsabilités, de toutes ces attentes de la part de mes pairs, de toutes ces vies qui dépendent de la mienne et de mes choix. Un petit groupe de mes loups me rejoins. Je ne manque pas de repérer les regards tendres de leurs nouveaux amis vampires, qui eux même se dirigent vers leur reine. Cette tendresse naissante est le moteur qui me donne l’énergie de me battre contre cette guerre fratricide qui pointe. Ils me félicitent de mon acharnement à assumer mon rapprochement avec la reine, me remercie de ce message d’amitié que nous nous efforçons de maintenir, malgré toutes les menaces extérieures qui nous inciteraient au contraire. Je suis touchée de leur sollicitude, frappée de leu intelligence de la situation, de leur implication dans cette guerre politique qui dépasse pourtant de très loin notre petite meute locale. Notre petite meute locale, face à ce grand frémissement mondial. Il me vient une idée. Une idée dangereuse pour moi et pour mes loups, mais j’ai cette impression que leur affection pour nos frères les rendra invincibles.
Zalya
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le 2 nov. 2019

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Zalya

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