La crise, l'austérité liée à la crise, le chômage causé par la crise... impossible de passer une journée sans en entendre parler. Au point que les jeunes ne savent même plus ce que c'est, exactement, que cette crise omniprésente, et que je suis obligée de la raconter depuis le début à des élèves de première économique parce qu'ils n'ont aucune idée de ce que cela recouvre. Un comble, quand même, si l'on considère la fréquence de son occurrence dans les conversations. Mais c'est devenu un tel poncif que les gens oublient comment tout ceci a commencé... c'est certainement ce que l'équipe du film s'est dit également : qu'il fallait faire acte de pédagogie et remettre un peu les pendules à l'heure, car les misères économiques qui nous affectent ont eu un début, une cause et des responsables, avant de devenir le décor incontournable de nos vies. Direction les États-Unis en 2005, donc, et immersion dans l'univers opaque et codifié de la finance internationale. Il faut supporter le plongeon, car il est éprouvant : des bureaux sans âme, des merdeux gominés, des psychopathes arrogants, des chiffres à la pelle, du clinquant écœurant, un jargon indigeste et de l'absurdité concentrée... autant avoir le cœur bien accroché, parce que ça fourmille de tout ce qui m'indispose physiquement. Mais d'autres seront plus endurants que moi, je présume. Suivons donc les protagonistes représentatifs chargés de faire comprendre aux profanes que nous sommes l'incompréhensible : deux jeunes et sémillants enthousiastes à l'américaine, bricoleurs de fond de garage promis à un brillant avenir, à la fois naïfs et ambitieux, un chevalier blanc marqué par un drame personnel et prêt à ferrailler avec le monde entier, à la tête de sa petite équipe de têtes brûlées, un inadapté social génial amateur de cette 'musique' employée à Guantanamo pour rendre dingue les prisonniers, et un trader au nez creux, prêt à tirer parti de toutes les failles du système. Le point commun de cette équipe hétéroclite ? Être visionnaire et avoir deviné avant tout le monde que la jolie construction de la prospérité américaine avait des fondations pourries et pouvait s'écrouler du jour au lendemain. Leur pari insensé et moralement répréhensible : miser sur le crash, soit pour s'en foutre plein les fouilles soit pour démontrer l'hérésie d'un système fondé sur le cynisme et l'avidité. Le film blâme plutôt l'incompétence et la bêtise, je serais plus sévère. Car la malhonnêteté des gens aux manettes est finalement la cause première de toute cette Bérézina économique dans laquelle la planète entière a plongé. Et ils n'étaient pas nombreux à l'époque à faire le lien entre la faillite du système et la misère concrète des familles endettées qui allaient s'ensuivre. Le plus effrayant, c'est qu'ils n'ont pas l'air plus nombreux aujourd'hui... ou guère plus, tout du moins. Car les gouvernements ont consolidé avec nos deniers ce qui s'était effondré, un an après la crise, les traders engrangeaient des bénéfices supérieurs à ceux encaissés l'année d'avant la crise, 200.000 familles espagnoles avaient perdu leur maison et des pays entiers se retrouvaient à genoux, pour des décennies. Et c'est tout l'intérêt et l'honneur de ce film que de le rappeler. Aujourd'hui, quelles leçons avons-nous tiré ? L'austérité reste de mise en dépit de son inefficacité désormais patente, les mêmes banquiers pourris jusqu'à la moelle sont encore aux manettes, les pays sapés par la crise sont encore à genoux... et plus aucun lycéen ne sait pourquoi c'est profondément honteux. En ce sens, les plans de coupe, tirés de l'actualité de ces années-là, sont au moins aussi édifiants que l'ensemble de l'intrigue. Ils constituent le cours idéal à eux seuls, si on voulait bien faire un arrêt sur image et une explication ad hoc pour chacun d'entre eux.

Créée

le 27 avr. 2018

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