Curieux, amusé puis dubitatif : The Dead Don’t Die n’aura pas dérogé à la règle de l’atypique si chère à Jim Jarmusch. Alors qu’une majorité de spectateurs pouvaient espérer un successeur à Shaun of the Dead, celui-ci cochant les cases Zombies et Comédie comme le laissait supposer un marketing... finalement à côté de ses pompes. Au même titre qu’il serait malvenu de réduire le hit d’Edgard Wright à un simple récit de morts-vivants, l’identité toute autre du film rappelle dans une moindre mesure le cas de Drive, alors vendu comme un Fast & Furious-bis (surprise : pas du tout).


Il conviendrait plutôt de se pencher sur la carrière poly-forme de Jarmusch pour mieux cerner The Dead Don’t Die, celui-ci faisant en quelque sorte écho à Ghost Dog et Only Lovers Left Alive en tant que « fenêtres décalées » sur des époques données : avec un enrobage estampillé « gangsters et samouraï » pour mieux illustrer la fin d’une ère, et une évidente étiquette « vampire » aux forts accents mélancoliques. Dans le cas présent, il s’avère tout bonnement que le retour de nos défunts à la vie n’est rien de plus qu’un prétexte parmi d’autres visant à servir un message tangible : tout part en couille, chose à laquelle nous assistons dans un attentisme coupable.


Jarmusch porte en ce sens un regard satirique et désabusé, si ce n’est carrément misanthrope, quant à notre inaction dramatique face aux enjeux environnementaux contemporains : apathiques au possible, ses personnages alimentent ainsi à n’en plus finir un rythme traînant la patte avec application, le style contemplatif du cinéaste entrant ici dans une autre dimension servant un message ô combien politisé. The Dead Don’t Die égratigne ainsi de bout en bout climatosceptiques, taclant au passage l’administration Trump de manière patente, et plus généralement un genre humain consumériste incapable de réagir : le cadre passe-partout de Centerville et la transparence d’une majorité de protagonistes abondent ainsi dans le sens d’un sous-texte prenant le pas sur tout le reste, quand bien même de rares figures entretiendraient l’illusion d’un récit existant par lui-même.


Si The Dead Don’t Die est formellement bien torché, et qu’un humour parcimonieux illumine une atmosphère des plus plates, il n’en demeure pas moins que sa démarche dessert le divertissement pur... voire carrément le film en tant que film. Car à trop tirer sur la corde du message à tout prix, le récit fini tout bonnement par manquer de chair : sa propension à d’ailleurs aligner références sur références, quand Jarmusch ne se cite pas carrément avec de nombreux clins d’œil à d’autres de ses œuvres, n’illustre que trop bien son incapacité à exister par lui-même. D’autres points plus étranges dénotent dans le même temps, tel un montage éclipsant la mort de personnages pourtant sciemment introduits auparavant (l’effet « on s’en fout » était certainement recherché), la disparition pure et simple des gamins ou encore cette satanée soucoupe tenant du cheveux sur la soupe : what the fuck ?


C’est bien dommage, car le délire méta porté par le savoureux Adam Driver aura pour sa part bien fonctionné, quand bien même il aurait définitivement fait entrer le film dans sa dimension véritable : celle d’un discours foulant du pied le quatrième mur et la cohérence narrative que l’on était en droit d’attendre. Difficile de ne pas en ressortir mi-figue mi-raisin donc, la circonspection pouvant de fait côtoyer une déception palpable : pourtant, à bien y repenser, et pour peu que l’on en débatte, il apparaît que The Dead Don’t Die aura bel et bien appliqué de bout en bout une logique implacable lui étant propre. Gageons donc que Jarmusch, à défaut de concilier efficacement message et divertissement, sera parvenu à ses fins.

NiERONiMO
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le 2 juin 2019

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