Avant, Cannes, c'était la moue dédaigneuse et poseuse du cinéma dit d'auteur poussé à son paroxysme, ne parlant qu'avec des trémolos dans la voix d'acte créatif ou de démarche militante. Le tout en se bouchant le nez devant le cinéma populo qu'il ne rechignait cependant jamais à utiliser pour garantir le max de publicité et de couverture médiatique.


Et quand il se piquait de sélectionner des films sortant de ses standards habituels, c'était pour mieux les ignorer, dans un silence honteux frôlant le fascisme. Del Toro, Oshii, Verhoeven et tant d'autres s'en souviennent encore.


Aujourd'hui, Cannes, c'est généralement une réunion de consanguins qui, à l'exception de rares sursauts de lucidité, se tressent mutuellement des lauriers, des ronds de serviettes gravés au nom de certains privilégiés qui bégaient, des scandales de plus en plus dérisoires ou fabriqués de toutes pièces, et une sélection qui sélectionne tout et n'importe quoi. Histoire de dire qu'on évolue (un peu).


Voir un film de zombie sur la Croisette a de quoi surprendre (un tantinet) mais surtout affliger, surtout que la vague est déjà en train de décliner. Mais Cannes, cela veut toujours dire cinéma d'un certain rang. Car le film de zombies, finalement, c'est pour le vil peuple de province. Le sang ne tâchera pas le tapis, pourtant déjà rouge... Oh non ma brave dame, pas de cela ici. A cannes, c'est de l' elevated horror, du film à message. C'est du Jim Jarmusch quand même ! Nous n'avons pas les mêmes valeurs !


Sauf que s'il est question de mourir, dans The Dead Don't Die, c'est surtout d'ennui. Car le vieux Jim, pas très Gentleman, n'en a visiblement rien à foutre du genre qu'il illustre avec parfois bon goût (un minimum). Comme s'il se bouchait le nez devant quelque chose qui sent le poisson pourri. On se demande dès lors pourquoi il a écrit lui-même un tel projet qui lui semble étranger, si ce n'est pour profiter de manière cynique des derniers sursauts d'une vague déclinante.


On se dit que, peut être, Jarmusch proposera autre chose, déconstruira le genre ou en dessinera un pastiche incisif et véhément. Mais non, même pas. Le seul argument de vente, c'est son affiche maousse et quelques cameos. Oui, le trio Bill Murray, Adam Driver, Chloé Sevigny est au poil, mais après ?


Après : rien, nada, pod'balle. ou plutôt si : un récit sans queue ni tête, plombé de personnages prétexte, voire what the fuck, dont un qui navigue entre Star Trek et Kill Bill. Et puis youpi ! Encore quelques dollars puisés dans la poche du geek qui hurlera sans doute dans la salle un truc du genre Whouah ! Trop bien, on fait référence à la nouvelle trilogie Star Wars avec le gars au gros pif qui joue Kylo Ren !. Une telle lourdeur se retrouve jusque dans le message du film. Un truc du genre que les gros matérialistes/consuméristes/racistes, ce sont des beaufs. Ou encore le traditionnel c'est vraiment une enflure, Trump ! Tout cela parce qu'il n'est pas écologiste et qu'il a piqué la présidence à la gauche !


Euh... Oui. Et après ?


Toujours rien, sauf un humour méta prétexte que même Deadpool aurait honte d'utiliser, une histoire qui n'avance pas, qui ne dit rien, qui évacue consciencieusement toute idée de tension ou de spectacle. Qui n'hésite pas à se foutre de la gueule du pseudo festivalier avec une fin from outer space ne masquant à aucun moment le vide scénaristique. Et qui n'hésite jamais à caviarder ses rares scènes d'action de ralentis totalement hors sujet, les mêmes qui font hurler les gardiens du bon goût quand Snyder ou Bay les utilisent... Car on n'est plus à un paradoxe près.


Mais le pire de tout, c'est que non content de dédaigner le genre, Jarmusch se paie le luxe de prendre son spectateur pour un parfait abruti en portant son discours de vieux con réac qui a quarante ans de retard par une voix off pour les deux du fond qui roupillent ou qui ne comprennent pas son constat digne d'une chanson d'Henri Dès.


Mais bon, vous comprenez, la série B nerveuse, c'est pour les bourrins, ma brave dame. Ici, on réfléchit !


Enfin, on fait surtout semblant pour se donner une pose grave. Car The Dead Don't Die, avec son absence quasi totale de sang et de tripaille, comme dans le ripolinage de World War Z, c'est le Canada Dry du film de zombie. Sauf que c'est servi sur le tapis rouge d'un festival qui pense et qui rit et qui a au moins dix ans de retard.


Si c'était une blague, force est de constater qu'elle est de très mauvais goût : celui de la viande avariée.


Behind_the_Mask, sang contrefaçon.

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le 28 mai 2019

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