Entre l’homme des champs fauchant à la cadence de sa respiration et le créateur-destructeur sophistiqué en apnée au milieu de ses outils, repose La Technique. Si la faux est au service du premier, le second est dévoué à cette dernière. Jack est un ingénieur se rêvant architecte. Sa perspective, c’est la maison qu’il désire construire au bord de l’eau, au pied du Mont St Helens. Ses tentatives sont vaines, son grand oeuvre lui échappe. Les squelettes se succèdent, les matériaux se substituent, et seul l’insatisfaction demeure. Et Jack de réaliser que les savoirs formatés de son éducation rationalisée ne le sauveront pas de cet échec. Evacués les parpaings, les poutres et la bétonnière. Car Jack ne veut pas d’une maison ordinaire. Jack veut créer. Et comme tout artiste, il lui faut trouver son médium; et comme tout architecte, il lui faut choisir sa matière.


Jack est obsédé par cette tache, tout comme il souffre de Troubles Obsessionnels Compulsifs. Jack est aussi un tueur en série. Une addiction/vocation qui lui apparait comme providentielle. Sa descente aux enfers devient alors quête initiatique. Une quête que Lars Von Trier met en scène avec les préoccupations qu’on lui connait. Ce ne sont pas les images graphiques qui font The House That Jack Built. Ce sont les petites choses qui ponctuent cette aventure meurtrière. Les cris des sacrifiés, leur pleine conscience de s’abandonner à une situation périlleuse, leur barrières défensives qui s’écroulent à mesure des manipulations de l’antihéros. « Si tu te sens l’envie de crier tu devrais le faire » lance t-il à l’une de ses victimes avant que ne commencent les sévices. La scène est courte, la scène est forte. Elle l’aime. Il dit l’aimer. Il n’a pas encore levé le main, son sort à elle est déjà scellé, crier n’y changera rien. Il l’exhorte à appeler au secours. Personne ne répondra. Moins occupé à décrire le monde que dans un Melancholia, on retrouve malgré tout cette froideur et ce pessimisme social inhérent a l’écriture du danois. « Tu ne me parles que de femmes stupides » lui soumet la mystérieuse voix incarnant l’autre dans le dialogue narratif charriant le récit. Elles ne sont pas stupides, elles ont leurs bagages et faiblesses. Jack n’en a aucune, son désire de toujours se surpasser et sa quête du surhomme, il les paies au prix de son humanité.


Car c’est de cela qu’il est avant tout question. Le film est tout autant une métaphore du travail d’artiste dans une perspective nietzschéenne qu’un traité cinématographique allant en ce sens. Un traité alimenté par métaphore de la photographie, où lorsque l’on capture la lumière, on met en exergue tout ce qu’elle contient d’ombre à travers le négatif. On peut regretter que cet exercice théorique prenne parfois le pas sur le récit. Sans véritablement le détrôner, l’empêchant cependant d’exister en tant que véritable quête initiatique. On aimerait assister à une graduation plus intense dans l’évolution de Jack. Le final, grandiose, suggère un Lars Vont Trier plus nuancé que par le passé. Son personnage faisant le choix de l’obstination, bien qu’il n’ait pas de véritable alternative à ce choix, et le payant par une chute pathétique au plus profond des ténèbres. Mais puisque dans les ténèbres la lumière, et selon le principe de l’éternel retour, on ne saurait apprécier le sort de Jack que suivant le degré de lecture qui est porté à l’oeuvre. Lars Von Trier délivre une figure de l’antechrist nietzschéen comme il en est rarement donné à apprécier au grand public. Plusieurs fois la voix mystérieuse lui suggère de chercher son matériel du coté de l’amour. Très peu pour Jack. « We hate love, we love hate » chantait déjà l’antechrist pop des années 90.

Créée

le 19 oct. 2018

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