Coincé entre Johnny Guitare et La Fureur de vivre, À l’ombre des potences est souvent perçu comme une œuvre mineure de Nicholas Ray, ce qui n’est que partiellement vrai. Sans toutefois arborer l’épaisseur des deux chefs-d’œuvres qui l’entourent, ce western renferme en réalité un certain nombre de qualités : des plans larges magnifiques sur les ruines aztèques et les décors naturels du Colorado ou du Nouveau-Mexique ; une attaque de train aussi illusoire que filmée avec maestria ; des comédiens investis (James Cagney, John Derek) ; une relation filiale rappelant à certains égards Les Ruelles du malheur, du même réalisateur.


Si les canons du genre ne sont que rarement contrariés, À l’ombre des potences greffe aux considérations habituelles sur la justice, la vengeance ou la culpabilité une romance réussie, mais surtout une histoire filiale en tout point prédominante. Dès l’ouverture du film, aux abords d’un point d’eau – le final l’imitera en ce sens –, a lieu une rencontre sous tension : Matt et Davey se croisent par hasard, se jaugent, puis sympathisent. Le premier a déjà sa jeunesse derrière lui, tandis que le second, un « gosse » d’à peine vingt ans, ne sait que faire de ses journées. Très vite, Davey se prend d’admiration pour son aîné, tandis que ce dernier semble chercher, sans même le savoir, un fils de substitution (ce qui sera maladroitement explicité à la fin du film). Propulsé au poste de shérif par une communauté qu’il ne connaît pas, Matt décide d’offrir un poste d’adjoint à son jeune acolyte, désormais marginalisé en raison d’un handicap. Il veut « lui montrer qu’il est un homme ».


Cet éveil mutuel est l’une des premières leçons du film : pris pour des truands, les deux héros sont conjointement la cible de tirs. Davey s’en sort avec « trois balles dans le corps et une jambe démantibulée ». Matt va alors le prendre sous son aile, essayer de l’éduquer avec des livres et lui offrir un boulot pénard. Sauveur autoproclamé, n’a-t-il pas lui-même besoin d’être sauvé ? D’un passé lourd de « gibier de potence », d’un fils parti trop tôt, d’une oisiveté passagère. Nicholas Ray raconte beaucoup de douleurs intérieures par l’intermédiaire de ses deux principaux personnages. Il montre aussi les limites des liens humains face au pouvoir de fascination de l’argent. En filigrane, c’est le système judiciaire qui se voit interrogé. Ainsi, un lynchage se solde par une amende de quelques pièces. Un shérif peut tirer sur un homme sans la moindre preuve de culpabilité, et avec l’appui d’un village entier, lequel se désolidarisera sans vergogne au premier accroc.


Globalement, le film constitue une belle réussite, même si la subtilité y est injectée à doses variables. Deux exemples pour en témoigner : on signifie un massacre par ellipse, en montrant des Indiens en train de s’amuser avec une botte de cowboy ; on observe des personnages se plaindre lourdement de la tranquillité de leur métier vingt secondes avant qu’un braquage n’ait lieu.


Critique publiée sur Le Mag du Ciné.

Cultural_Mind
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le 7 avr. 2019

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