Hé bien moi, je le préfère franchement à Johnny Guitar, ce petit western qui ne casse pas trois pattes à un canard ! Johnny Guitar est un film assez manichéen, où le technicolor a mal vieilli, et qui fait avancer son intrigue à la diable. A l'ombre des potences est certes plus convenu, mais il remplit parfaitement le contrat.


Matt (James Cagney) est une boule de nerf à qui on ne la fait pas, un individu excessif, trapu, rablé, en quête de rédemption après avoir passé des années en prison. En chemin vers une petite ville perdue au milieu des montagnes, il rencontre Davey, un jeune gamin qui a grandi tout seul. Ils sympathisent, voient arriver le train postal, et tirent sur un faucon par défi. Les employés du train, pas remis de l'attaque de la semaine précédente, croient être attaqués, jètent l'argent et arrivés à la gare, font réunir un posse. Matt et Davey, qui font route vers la ville ramener l'argent, se font tirer dessus comme des lapins, et Davey en sort éclopé. Matt culpabilise, et prend Davey un peu comme un fils adoptif. Lorsque les riverains, pour se faire pardonner, lui offrent la place de shérif, il le prend comme adjoint, car il veut en faire un homme. Lorsque deux lascars viennent repérer la banque et se font griller, Matt en blesse un, qu'il confie à Davey, et arrête l'autre (Borgnine). Quand Matt revient, le premier larron a été lynché : Davey n'a pas assuré. Matt fait condamner les lyncheurs et demande à Davey d'amener Borgnine chez le Marshall de la ville voisine, mais le larron arrive à s'échapper. Davey a encore merdé.


Plus tard, des bandits, dont un ancien compagnon de cellule de Matt, font sauter la banque pendant que la communauté est réunie pour la messe de Pâques. Matt réunit un posse et les poursuit, mais tout le monde sauf Davey le lâche lorsqu'il faut aller en territoire comanche. Davey tente de tuer Matt dans le dos, et révèle que c'est lui qui avait rencardé les bandits. Ils récupèrent l'argent sur les bandits que les Indiens ont massacrés, mais Davey parvient à s'enfuir en laissant Matt pour noyé dans un rio. Matt le retrouve, lui et Borgnine, dans des ruines aztèques. Il les tue, alors que Davey, pris de remord, voulait tirer sur Borgnine pour l'empêcher de tuer son père adoptif. Matt rentre retrouver son amour, une Suédoise, et ne révèle à personne la trahison de Davey. "Davey did fine".


On retrouve un thème qui parcourt une grande partie de l'oeuvre de Nicholas Ray, et qu'il a toujours traité avec beaucoup de chaleur : un individu excessif, que son passé violent a mis au ban de la société, va tenter de se racheter et de se construire un foyer dans une communauté reculée.


Si le scénario enchaîne les scènes de genre (attaque de train, de banque, formation d'un posse, lynchage, poursuite jusque dans le désert, cachette face aux Indiens, scène de campement, traversée d'un torrent, approche de la cache des bandits, l'étoile qu'on jète...), les personnages sonnent vrais. Il n'y a que le jeune premier dans le rôle de Davey qui me retient un peu, mais le film trouve toute son énergie dans l'interprétation poignante, désarmante, de ce grand acteur qu'est James Cagney. Cagney n'a jamais été un acteur de genre, ses interprétations ont toujours une grande profondeur psychologique, et ici cet homme sanguin, qui agresse son monde parce qu'il parle plus vite qu'il ne pense, mais est au fond d'une grande générosité et d'un courage désintéressé, irradie tout le film, avec son rictus, ses coups de gueule, son corps fatigué par les épreuves. Son amour, Helga, une Suédoise un peu écrasée par un père rigoriste, ignorante et droite, est un personnage tout aussi touchant. On est ému par leur couple, et la scène qui m'a le plus remué est celle où, alors que Matt doit se justifier devant les habitants du fait qu'il connaissait un des bandits, elle prend tout son courage et crie à la face de la communauté : "Mais vous ne savez pas reconnaître la vérité quand vous l'entendez ?". Le courage des simples... La scène prend tout son sel si l'on pense que le passé de Matt ne sera jamais vraiment connu, et qu'il est fort possible qu'il soit effectivement un ancien outlaw en quête de rédemption.


Et puis il y a cette morale, propre au western, du shériff qui se bat pour une communauté qui a ses vices profonds (le lynchage), mais qu'il veut tout de même défendre, même s'il est seul pour le faire.


Et puis il n'est pas si nul, le scénario. Le twist principal, j'avoue que je ne l'ai pas vue venir, et qu'il donnait tout d'un coup un véritable éclairage au film, l'éclairant d'une thématique plutôt propre au film noir : parfois, nous misons sur les mauvaises personnes, et il est difficile de revenir sur ses erreurs de jugement.


Un chouette petit western, qui gagne à être connu, à recommander à tous les fans de Nicholas Ray.


Vu au Grand Action, par temps de canicule.

zardoz6704
7
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le 1 juil. 2015

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zardoz6704

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