Trois choses que vous devriez peut-être savoir avant de commencer votre lecture:


A. Je vais SPOILER. Je vais démoutonner tout ça et dans tous les sens alors si vous aimer les surprises... vous savez ce qu'il vous reste à faire.
B. Soyez indulgent avec ma critique sinon, je vais être triste. D'ailleurs ce n'est pas vraiment une critique, c'est ... hum... en fait je ne sais pas exactement ce que c'est, mais normalement c'est bien.
C. Je ne sais pas ce que j'ai écrit mais je sais que c'est LONG. Alors si vous n'aimez pas les longues analyses de dix-huit pages, il y a un épisode de Friends à la télé qui commence dans cinq minutes.


Par où commencer ? Comment résumer en seulement quelques lignes les deux heures et quatre minutes que dure ce voyage interstellaire ? Oui parce que bon, on nous le vend un peu comme ça sur la pochette : Après Matthew Mac Conaughay, Georges Clooney et Sandra Bullock, c’est au tour de Brad Pitt d’enfiler la combinaison blanche de la NASA-qui-rend-intelligent-instantanément.
Avant tout, commentaire sur le titre en forme de petit rappel pour les ignares qui liraient mes critiques sans un dictionnaire de latin dans les mains : Ad Astra est à l’origine une locution latine qui signifie Vers les étoiles. (sans blague, oui oui). L’affiche du film nous exhibe un Brad Pitt au regard mélancolique mais déterminé en tenu de cosmonaute… On est donc en droit de s’attendre à une petite virée dans les immensités intergalactiques du firmament. Mais ce qu’on ne nous dit pas c’est que Ad Astra dans sa forme latine est une formule abrégée d’autre chose : Ad Astra et aspera, qui signifie : Vers les étoiles et par delà les difficultés. Et c’est ce dernier mot difficultés qui va nous éclairer pour la suite, parce que des chemins pénibles, le spectateur naïf qui débarque par un dimanche pluvieux dans la salle va s’en farcir quelques-uns.


Alors c'est l'histoire d'un gars appelé Roy Mac Bride, ingénieur astronaute pour le compte de l'armée américaine et à qui le gouvernement à confié une mission des plus confidentielles (comme on ne cessera de nous le rappeler environs quatorze fois tout au long du film). Pour tout vous dire, Roy Mac Bride n'a pas de bol : il se trouve chargé de régler un complexe problème cosmique et familial : dans un premier temps, mettre fin à la production d'antimatière sur la planète Neptune qui occasionne des orages électriques meurtriers sur Terre et de gravissimes problèmes de surtensions aux quatre coins du monde tout en récupérant papa dans un second temps, astronaute lui-aussi, pionnier dans le domaine de l’exploration spatiale et visiblement adulé par toute la Terre entière pour son génie inégalé. Hélas, Papa Mac Bride est porté disparu dans l’espace depuis quelques seize longues années, date à laquelle il effectuait sa dernière mission top secrète (elle-aussi) baptisée LIMA avec d’autres petits génies en combinaison blanche. Mac Bride Père avait la lourde tâche de partir en reconnaissance dans le cosmos à la recherche de nouvelles formes d’intelligence. Et justement, l’armée américaine se demande si Mac Bride père ne serait pas le responsable des problèmes de surcharges électriques car l’antimatière était l’une de ses principales découvertes scientifiques. Hum… bon. J’espère que vous avez suivi.


Alors ce qui est assez fantastique et ridicule à la fois, c’est la facilité tragique avec laquelle notre héros va mener à terme sa mission.
Parce que vue d’en bas, on se demande bien comment notre major va réussir son coup ; les problèmes de surcharges de Neptune, ça a l’air compliqué quand même. Eh bien, après de nombreuses péripéties plus ou moins incohérentes – je vous passe l’épisode des singes de laboratoires - on nous apprend que finalement, non non, Neptune tu vas voir c’est facile, tu poses une grosse bombe nucléaire au bon endroit (même pas sur Neptune d’ailleurs) et pouf, tout sera réglé. Et puis tant qu’on y est, eh bien tu verras, papa est toujours dans le même vaisseau depuis seize ans, non non il n’a pas bougé. Bon… il a peut-être un peu changé depuis la dernière fois, on nous a plusieurs fois laissé entendre qu’il aurait un tout petit peu dessoudé l’ensemble de son équipe de chercheurs mais bon ! Ils voulaient rentrer chez eux donc il fallait bien trouver une solution. En témoignent les cadavres en décomposition qui flottent en apesanteur dans le sas d’entrée de son vaisseau, qui ressemble finalement plus à un gros corbillard moche qu’à autre chose mais dans la recherche comme ailleurs, on ne fait pas d’omelette sans [zigouiller des innocents], sans casser quelques œufs. Notre héros essaie comme il peut de ramener son père à la raison mais hélas, il est trop tard… et c’est là que James Gray réussi le tour de force d’aborder à la fois le thème de la filiation dans les étoiles tout en évoquant le problème -heureusement peu courant – des démences séniles dans l’espace sur un vaisseau dédié aux recherches scientifiques.


Entre un début étrangement engageant (si si quand même, il y a du suspense) et cette conclusion croquignolesque, il y a ce qu’on pourrait appeler un trèèèès long chemin, une sorte de quête inquiétante tant elle semble ne jamais se terminer. Pour le héros le voyage Ad Astra dure des mois entiers et pour nous c’est un peu pareil.


Le héros se rend sur Mars (le voyage dure sept semaines) pour lancer un appel à son père, supposément en vie et supposément toujours sur Neptune… ça fait beaucoup de suppositions mais il a la motiv.
Comme Roy Mac Bride est un homme sensible et il se dit que le speech préparé par la NASA est un peu froid et impersonnel, alors il décide de refaire un deuxième discours, plus affectueux à son petit papa chéri à l’aide de gros clichés comme je pensais ne plus en voir du style : '‘tu étais si intelligent, tu m’aidais à faire mes maths, reviens sitoplait snif'’.

Et puis dans un deuxième temps, Roy Mac Bride (encore et toujours) décide se taper l’incruste à bord du vaisseau préparé pour la mission de destruction massive nucléaire top secrète. Il est tellement fort et déterminé qu’il grimpe par en dessous de la fusée au moment précis du décollage (oui oui). Il a eu beaucoup de chance de ne pas finir comme une chipolata grillée mais bon, cela fait parti du destin des héros américains : ils sont beaux, forts, orphelins, renfermés, solitaires et en même temps tellement [monolithiques] fascinants.
Comme je l’ai dis plus haut, Mac Bride n’a pas trop de chance dans la vie, il est aussi extrêmement maladroit. Du coup, il bute ‘accidentellement’ toute l’équipe du vaisseau et se retrouve obligé de prendre les commandes tout seul. Alors on a droit à un monologue incroyablement morne et inutile sur la culpabilité du héros vis à vis de toutes ces morts tragiques… mais c’est un peu comme les loups-garous dans Twilight, on n’y croit pas tellement.
D’ailleurs, ça m’a légèrement fait tiquer qu’un seul mec arrive à manœuvrer tout seul un vaisseau dans lequel on avait initialement six membres d’équipage… c’est un peu comme si Jack Sparrow essayait de manœuvrer un trois mâts à lui tout seul… ce n’est simplement PAS POSSIBLE.


Au terme d’une errance dans l’espace qui semble durer des décennies, notre Major retrouve [Dark Vador] son père. Il tente de le ramener à la raison par tous les moyens mais c’est trop tard. À ce moment là, on nage dans le désarroi et la gériatrie spatiale. Car papa est devenu fou et refuse catégoriquement de revenir sur Terre. Il se détache volontairement de son fils (geste au combien symbolique tant la sangle de sécurité qui relie le père et le fils s’apparente à un cordon ombilical) et le fils est contraint de revenir seul sur Terre (au prix d’incohérences monstrueuses que je préfère passer sous silence pour ne pas allonger ce résumé). A son retour, Brad Pitt a compris un truc fondamental dans sa vie. Il a presque le sourire aux lèvres, alors c’est vous dire. Sa compagne que l’on voyait fantomatique dans quelques messages et qui disait en substance, ‘'Je me fais chier avec toi vu que t’es jamais là'’, ‘'Va te faire foutre, je ne vais pas t’attendre'’, l’attend gentiment dans un hall d’entrée moderne et design, signe d’une renaissance émotionnelle après la mort du Père.


Voilà pour le pitch. Ad Astra ne m'a pas convaincu, vous l’aurez deviné mais il y a tout de même beaucoup, beaucoup de choses à en dire… d’abord sur les thèmes principaux du film. Il y est question en filigrane de la déshumanisation, de la représentation du Père et d’une vision plutôt pessimiste du futur.


I. Une vision pessimiste du futur ?


Ad Astra s’ouvre en effet sur cette phrase écrite en rouge : ‘'Dans un futur proche. Une époque d’espoirs et de conflits'’.
La phrase est aussi vague que possible, les mots espoirs et conflits s’opposent l’un à l’autre et pourraient s’appliquer à tous les pays du globe à l’heure actuelle, car au jour d’aujourd’hui (pardon pour cette expression) quel pays ne connaît pas de conflit et se trouve totalement privé d’espoirs ?

Pourtant Ad Astra s’applique à dépeindre une société étonnement résignée et obéissante, respectant scrupuleusement des séries de protocoles, même face aux dangers. Les guerres de territoires se sont étendues aux conquêtes spatiales, comme le dépeint assez bien l’épisode des Pirates lunaires.
Mac Bride évoque aussi, non sans désarroi le calque du modèle capitaliste appliqué aux confins de l’univers et met ainsi en lumière le paradoxe de l’être humain qui,cherchant à travers sa quête de l’univers à changer son monde, n’a de cesse que de reproduire le même schéma erroné partout où il passe.
Le monde dans lequel évolue notre héros nous apparaît dur, inhospitalier, mécanique et automatisé par opposition aux images d’archives qui reviennent à diverses reprises tout au long du film et qui le montrent étant enfant dans les bras de sa mère tout en étant au contact d’une nature verdoyante quasi inexistante par la suite.
Dans l’univers de Mac Bride, il ne semble pas exister d’affection, quasiment pas d’interactions, pas d’intime, et encore moi de vérité. Comme à notre époque, le problème du secret d’État renferme toujours avec elle- qu’on le veuille ou non- l’idée du complot. Ainsi, on découvrira que l’armée américaine fabrique de toutes pièces l’image du Père héroïque disparu afin d’éloigner d’elle une toute autre vérité beaucoup moins reluisante sur l’échec des ses recherches et sur la folie humaine.
Cette vision pessimiste du monde organisé en sous-mains par une multitudes de mensonges et de guerres d’images entre forcément en résonance avec les problématiques actuelles auxquelles nos sociétés sont confrontées.


II. La thématique de la déshumanisation


Cette thématique d’une vision pessimiste dans le futur nous entraîne inévitablement vers un sujet récurrent dans Ad Astra, celui de la déshumanisation. Cette réalité est immédiatement présente dès le début du film, lorsque le spectateur découvre son héros figé devant une glace passant une sorte d’examen psychologique au moyen d’un patch dans le cou. Dans son monologue plat et dicté d’une vois monocorde, Mac Bride rend compte à une machine de son état psychique en employant des adjectifs tels que ‘opérationnel’, ‘apte au travail’ et fournissant en parallèle une série de paramètres mécaniques comme son pouls.
Ces examens psychologiques – qui n’en sont pas vraiment – sont réalisés sans interlocuteur puisqu’une machine se charge d’évaluer à diverses reprises l’état de santé mental du héros, accentuant encore davantage un sentiment oppressant de solitude.
Cette solitude est déjà omniprésente dans le film, du fait de l’isolement physique du héros – seul dans l’espace, seul avec lui-même sur Mars, seul finalement même lorsqu’il se trouve face à son père.
Par ailleurs, tout est fait dans Ad Astra pour évoquer cette déshumanisation criante, à travers la lumière rougeoyante sur Mars que dévore ensuite l’obscurité, le minimalisme des décors qui ne comportent pas un seul espace de vie : avez-vous beaucoup vu Brad Pitt manger, dormir dans une couchette, ou se laver une seule fois dans le film ? Symptôme d’une époque malsaine pour l’individu : tout ce qui constitue l’intime de sa vie (ses amours, ses rêves, sa vie corporelle et spirituelle) sont effacés, gommés. Dans le cas du personnage central, cet intime s’efface par devoir, écrasée par le poids d’une mission d’importance capitale (comme presque toujours avec les héros américains).
La déshumanisation est également rendue par les examens psychologiques redondants qui ne semblent pas tellement avoir d’autres fonctions dans la fiction tant ce que déclare le héros est plat et sans intérêt.
La récurrence de la mesure du pouls tend alors à rapprocher insidieusement l’homme d’une mécanique et de ses paramètres mécaniques, comme une super révision chez le garagiste.
Et puis enfin, il y a tout ce grand vide noir dans lequel évoluent nos protagonistes, vide sans fin et rempli de questionnements existentiels : qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Pourquoi sommes-nous ? Où sont les limites de notre existence ? L’’être humain semble toujours bien loin de chez lui lorsqu’un réalisateur s’amuse à le placer seul dans l’espace, comme dans Interstellar où le temps et la gravité se jouent de lui.


III. Dieu, le Père


Ce sera le dernier thème récurrent abordé ici ; je le place à la fin parce que Mac Bride fils nous bassine avec tout le long du film : papa, papapounet, Dieu, mon père, mon Précieux, mon géniteur, mon début et ma fin, mon Oedipe et tout ça.
Pour faire simple, on peut dire que le Père est représenté de trois manières différentes dans ce film : d’abord sous les traits de l’absent, de celui qui n’est plus là, qui a disparu et que l’on croit mort. Il brille par son absence, pourrait dire Mac Bride tant ce manque est ressenti à tout instant chez lui et prend une importance disproportionnée dans sa vie, au point de l’empêcher de se construire.
La deuxième image est liée à la figure du grand absent, c’est celle du père fantasmé. Le père est vu comme tout puissant, dur, charismatique, génial… en un mot il est intellectuellement hors de porté. Il est une idole dans la représentation générale de l’Humanité, son nom est célèbre, ses action sont rapportées comme des exploits, son visage est placardé dans de longs couloirs qui en imposent.
Cette vénération du père aurait pu être intéressante si la thématique n’avait pas été aussi usée et amenée de manière si peu subtile. La récurrence de ce thème et la manière dont il employé ont considérablement alourdi la narration du film et appauvri son propos -je trouve.
Cette image du Père omniscient – c’était un scientifique, il savait tant de choses – écrase totalement le fils; en tant que spectateur on perçoit d’ailleurs assez bien cet écrasement du héros comme le poids d’une gravité psychologique sur ses épaules, à travers ses déplacements laborieux en apesanteur.
La troisième figure c’est celle du monstre qui apparaît lors de la conclusion finale : le mythe du père héros de la Nation s’écroule. Le père a vieilli, son confinement et son obsession de la recherche ont transformé ses névroses en folie. C’est le moment où le miroir se brise ; normalement à ce stade le fils tue symboliquement son père… ici c’est une mort intellectuelle suivie du suicide – bien arrangeant pour Mac Bride qui n’a pas à tuer son père au sens propre.


Le film s'achève sur cette conclusion : il est possible de se distinguer de ses parents et d’exister sans eux sans pour autant perdre leur mémoire. (D’ailleurs quid de la mère dont on ne sait rien sinon tout au plus qu’elle vécut plutôt mal son veuvage?). Cette quête spatiale s’apparente d’abord à une recherche des racines, une quête d’identité qui… non je déconne j’ai terminé, j’arrête là.


THE END

Proximah
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le 10 oct. 2019

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Proxima

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