Endettée, mode d'emploi
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le 26 mars 2025
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Aimer perdre suit Armande Pigeon, 26 ans, fauchée, accro aux paris, bloquée dans une Bruxelles qui ressemble moins à une capitale qu’à un terrain vague. Le film ne la juge jamais : il la laisse dériver d’un pari à l’autre, de dettes en combines, avec ce mélange de naïveté et de détermination qui fait qu’on s’attache parfois à des trajectoires perçues comme désastreuses. Son nom dit déjà tout : oui, elle est un pigeon, mais un pigeon qui refuse de se laisser enfermer.
Ce qui m’a frappé d’emblée, c’est que les frères Guit ne cherchent jamais à embellir quoi que ce soit. La photo est carrément crade : caméra à l’épaule, GoPro compressée, plans saturés, POV de pigeon… Ce n’est pas un amateurisme pour faire genre, c’est un langage, une manière de filmer la précarité dans sa matérialité la plus simple.
Et ça marche parce que cette saleté épouse exactement la vie d’Armande. Ses paris absurdes, ses combines, ses tentatives pour grappiller quelques euros ou quelques jours de répit, tout cela s’inscrit dans un mouvement de “survival” urbain où le réel n’est jamais lissé. On rit, oui, mais pas parce que l’excès rejoint le quotidien, parce que le grotesque n’est jamais très loin quand la survie dépend de trois décisions idiotes prises trop vite.
Ce qui m’intéresse le plus, c’est la manière dont les Guit tiennent ensemble le bordel et la lucidité. Le film est en roue libre, souvent volontairement. Certaines scènes basculent dans une escalade quasi punk : plan trop serré, zoom improbable, lumière ingrate, détail repoussant. Mais derrière cette démesure, il y a une lecture très nette du déterminisme social : Armande n’est pas une héroïne malchanceuse, c’est une jeune femme qui n’a pas le droit au filet de sécurité et qui tente donc tout, même le pire, pour ne pas couler.
L’humour fonctionne sur le décalage : les situations sont absurdes mais jamais détachées du réel. On passe d’un pari idiot à un job improbable, d’une scène d’amitié bancale à des dettes qui s’accumulent comme des mauvaises blagues. C'est un humour de survie, celui qui apparaît quand tout s’écroule mais qu’on continue quand même. C’est le portrait d’une jeunesse qui oscille entre élan vital et épuisement social.
Et c’est peut-être ce qui fait la force du film : son refus de la morale. Les Guit filment la galère comme une énergie. Ils ne sauvent personne, ne punissent personne, ne glorifient rien, ils montrent comment une existence cabossée s’invente dans le chaos. Et Armande, portée par une incroyable Maria Cavalier-Bazan, finit par devenir ce qu’elle est vraiment : une femme qui perd, qui avance, qui reste vivante.
C’est donc un film sur la loose, oui, mais une loose libre, presque joyeuse, celle qui dit : tant qu’on perd, au moins on joue encore.
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Créée
le 18 nov. 2025
Modifiée
le 18 nov. 2025
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