On reprochera souvent à Yves Boisset son indignation adolescente et le manque de subtilité avec lequel il rentre parfois dans le lard des sujets politiques et de société qu'il aborde, pourtant c'est par cet engagement que le réalisateur marquera durablement le cinéma français. En 1981, Yves Boisset signe avec Allons Z'enfants un pamphlet qu'il serait réducteur de qualifier de bêtement antimilitariste, certes la grande muette en prend pour son grade décrivant avec froideur l'homme des casernes dans toute sa médiocre splendeur mais bien au delà le film se révèle surtout être un plaidoyer pour le libre arbitre et le choix de vivre dans l'accomplissement de soit.


Le film nous raconte l'histoire de Simon Chalumot, un jeune homme fils d'adjudant de carrière qui est forcé par son père d'entrer dans une école militaire. Le garçon attiré par la littérature et par le cinéma et plutôt antimilitariste va subir les brimades et humiliations de ses supérieurs pour le faire rentrer dans le rang.


Parfois un simple dessin parle tout autant qu'un long discours et la formidable affiche d'Allons Z'enfants synthétise assez bien le propos du film qu'elle illustre. Une silhouette anonyme au garde à vous et une main qui vient poser avec violence un casque dix fois trop grand dans une volonté de faire disparaître l'individu et de l'écraser sous le poids de la fonction. Voilà bien tout ce dont parle le film d'Yves Boisset avec un individu que l'on force à endosser un uniforme qu'il ne souhaite pas quitte à le briser pour le faire rentrer dedans et à rentrer dans une une fonction qu'il refuse quitte à faire disparaître sa personnalité toute entière sous une soumission à l'ordre établi. Et si Simon Chalumot (Lucas Belvaux) rencontrera son lot de gradés rigides, imbéciles et obtus, de salauds ordinaires et fiers de l'être, de jeunes gens se glissant volontiers dans l'uniforme jusqu'à en épouser le pires coutumes il croisera aussi des généraux plus magnanimes, des professeurs qui l'éveilleront au théâtre et à la littérature, de solides amitiés et même une bonne sœur plaine de compassion et d'amour. Bien sûr Yves Boisset attaque le plus souvent de manière frontale et direct la grande muette vivante en autarcie sur ses principes militaires déshumanisants d'ordre et de discipline mais il prend soin de glisser régulièrement des personnages et des situations bien plus nuancés; alors antimilitariste sans le moindre doute mais pas de manière primaire, stupide et systématique. Yves Boisset semble simplement nous dire que l'individu doit pouvoir choisir si il convient à la vie militaire, si il souhaite s'y fondre et s'y perdre et que ce n'est à personne de décider de broyer un individu sous le poids du drapeau, de l'uniforme, du patriarcat et de la sainte patrie. Bien loin de mettre tous les militaires dans le même sac , Yves Boisset nous rappelle bien au contraire que sous l'uniforme il n-y pas que des abrutis mais aussi des tonnes de Chalumot.


Mais Allons Z'enfants reste aussi un pamphlet qui montre un univers reclus sur de vieilles idées, un monde à part, uniformément grisâtre et froid dans lequel même le soleil semble ne pas vouloir pointer son nez; l'occasion de saluer le travail de Pierre William Glenn qui éclaire le film de sa glaciale pâleur. Dans cet univers le personnage ne fera que se heurter à des gens qui n'existent qu'à travers la fonction qu'ils incarnent du patriarche ancien combattant à la gloire patriotique (formidable Jean Carmet) aux petits chefs et gradés incapables de réfléchir au delà du règlement , en passant par des jeunes gens trop avide de son conformer aux modèles pour encore réfléchir à ce qu'ils sont vraiment et à qui Simon Chalumot lâchera quelques sentencieuses répliques "En fait tu n'es pas con, t'es juste une victime" ou à un jeune camarade vexé de la froideur et l'indifférence de soldats plus âgés "Avec un peu de chance tu deviendras aussi con qu'eux". Dans un monde régit par l'ordre, le marcher droit, la discipline et la glorification béate de l'acte belliqueux, les rêveurs, les insoumis, les cultivés qui seront bien vite catalogués comme anarchistes doivent plier quitte à rompre.


Avec Allons Z'enfants Yves Boisset signe un film à la gloire du libre arbitre et de l'accomplissement de soit, deux notions que le réalisateur va faire se fracasser sur la rigidité du monde militaire de l'entre deux guerres chantre de l'uniformisation des esprit derrière une doctrine strictement disciplinaire. A l'esprit des armes Yves Boisset vient nous glorifier l'esprit des âmes.

freddyK
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le 15 févr. 2021

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Freddy K

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