« Quand je pense qu’il aurait pu être officier, le bougre »

Un fils d’adjudant de carrière est forcé par son père d’entrer à l’école des enfants de troupe des Andelys. Clairement antimilitariste (il écrira un lapidaire « je déteste la guerre » en guise de dissertation post visionnage des Croix de bois, de Raymond Bernard) mais excellent élève, il subit des brimades de ses camarades et supérieurs. Attiré par la littérature et fasciné par le cinéma, il sera rattrapé par les débuts de la Seconde Guerre mondiale et sa mobilisation sur la ligne Maginot.


Yves Boisset arpente cette fois les terres de la guerre ou plutôt celle de l’embrigadement des gamins à l’école militaire à l’aube de la seconde guerre mondiale. Il se fait ainsi moins actuel (La femme flic) et visionnaire (Le prix du danger) en revanche sa force de frappe est intacte, tant le corps militaire en prend pour son grade. Il est bien aidé par des seconds rôles tranchants, incarnés entre autres par Jean François Stevenin (le fourbe, brutal et psychopathe sergent Billotin) et Jean-Claude Dreyfuss (officier Maryla, le sadique qui couvre chaque mauvais faits et gestes de ses hommes), de pures machines à fabriquer de la chaire à canons, à broyer la jeunesse.


Mais ceux qui entourent le jeune Simon Chalumot ne sont guère mieux. De l’apathie d’une mère effacée à la nostalgie militariste du père (Jean Carmet impressionnant, notamment durant la scène du bistro) qui envoie son fils à la fois par déférence militaire (il est lui-même un héroïque sous-officier de Verdun) mais aussi car ça ne coûte rien.


Yves Boisset est peut-être un peu plus impersonnel dans la forme, respectant probablement (trop ?) le texte d’Yves Gibeau. Encore que certains de ses choix, très tranchants, sont de belles idées de cinéma : cette longue ouverture dans la caserne, sous la neige à laquelle viendra faire écho, bien plus tard, ce long plan de campagne édénique lors du séjour de Chalumot chez un oncle.


Malgré tout, le pamphlet est habité aussi par des figures plus pacifistes, qui certes n’y peuvent pas grand-chose mais permettent d’entrevoir la lumière d’une possible résistance ou d’un mince espoir en l’humanité : un professeur de français sensible et érudit, un jeune capitaine lucide et idéaliste ou un tenancier de bistro indigné qu’on envoie encore des gamins à l’abattoir.


Mais la figure de rébellion la plus pure, c’est bien entendu celle de Simon, incarné par un excellent jeune Lucas Belvaux, qui ne déviera jamais de son abnégation. Il n’aime pas la guerre, il aime le cinéma. On pourra le mettre de force dans les rangs, l’obliger à se battre, lui sucrer ses permanences, rien n’y fera. Il préfère toujours lire Madame Bovary et rêve d’être le nouveau Jean Renoir. Souffrir plutôt que se ranger.


C’est un beau film, terrible, sur la bêtise et l’enfance brisée. L’absurdité de la guerre, de la discipline armée. Rien de nouveau, évidemment, mais la charge est si incisive et multiple (perversité, sadisme, harcèlement, mensonge, mépris, chantage au suicide, tout y passe) qu’on ne pourra pas reprocher à Boisset d’y être allé avec le dos de la cuillère.

JanosValuska
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