Un documentaire beaucoup plus profond qu'il n'y paraît. De premier abord on pourrait s'imaginer qu'il s'agit simplement de témoignage d'individus qui ne veulent plus ou pas être employé parce qu'ils refusent d'être des travailleurs qui ne servent qu'à enrichir un patron ou plus profondément encore parce que leur corps ne peut plus encaisser de ce mettre en ordre de marche dans des cadences et des conditions désastreuses ou au nom d'intérêts purement lucratifs. Ça serait déjà pas mal comme documentaire mais ça va encore plus loin !
Ce documentaire n'est pas misérabiliste du tout et n'appelle pas à plus de sécurité pour le travailleur (fameuse théorie de la fléxi-sécurité) ou à défendre des actions syndicales ! Bien au contraire, et c'est là que c'est particulièrement subversif : il s'agit d'une condamnation de l'emploi comme extérieur à nous-même qui nous dénature et nous prive de notre vie. C'est le fameux "perdre sa vie à la gagner". Cela aboutit à une sorte d'appel à la désobéissance du travail obligatoire et à l'apologie d'un "droit à la paresse".
Pour prendre conscience de ça, les réalisateurs optent pour un double mouvement : d'abord nous présenter la réaction des patrons du MEDEF face à ces gens qui revendiquent de ne plus être leurs employés et de les servir. Leur réaction est réjouissante, on sent les justifications foireuses et l'appel au travail par des patrons biens nés, le décalage est saisissant. En plus de ça, ce documentaire de 2003 nous plonge dans un monde du travail qui revendiquait à cette époque ouvertement le productivisme et d'instrumentaliser la vie des gens et leurs corps pour plus de rentabilité. Le capitalisme sans le masque de la bienveillance s'offre à nous.
Enfin, l'autre mouvement, c'est le témoignage de personnes qui retracent comment ils en sont venus à déserter ce marché du travail. Plusieurs parcours de vie se croisent, certains sont abîmés par des années de travail à la chaîne, d’autres, par des emplois de service sans intérêt ou bien encore des individus se refusant depuis toujours au travail comme on se refuse au service militaire.
Sans idéalisme aucun, les trajectoires individuelles ne sont pas des utopies magnifiques mais simplement des arbitrages entre différentes contraintes : travail, argent, temps, santé, capacité de consommation, frugalité. On ne peut pas tout avoir, eux, on choisit le temps, la santé et la quiétude même si les fins de mois sont souvent difficiles et la réprobation de l'entourage assez pesant.
Enfin, la réflexion la plus poussée est portée par un homme qui revendique son utilité sociale quotidienne et donc une réelle activité (certes non reconnue comme tel par le marché du travail) mais qui rompt avec l'idée d'un individu purement oisif. Plus encore, la majorité ne veulent pas être présentés en victime (ce qui mettrait en marche la rhétorique réformatrice de l'insertion pro, de la formation et de l'employabilité...) mais revendiquent au contraire une forme de libération relative en comparaison notamment avec les travailleurs automates toujours davantage impliqués dans leur soumission au travail et aux patrons.
Ce documentaire est une superbe illustration de ce que pourrait être l'application des théories de Bernard Friot sur la salaire à la qualification personnelle (salaire à vie).