Aya et la Sorcière
4.6
Aya et la Sorcière

Long-métrage d'animation de Gorō Miyazaki (2020)

Totoro et compagnie : expérience transitive ratée.

Il y a toujours une réaction à ausculter chez les fans quand un studio prend un gros revirement qui le sort complètement de ses plates-bandes : si certains affichent une inquiétude mesurée mais se montrent tolérant au changement, les plus réticents ou les plus attachés à leur peluche feront rapidement les gros yeux et n’hésiteront pas à montrer les crocs et la langue de vipère pour cracher du venin à tout va.


Ceci peut se vérifier rien qu’à l’annonce et aux premières images montrant les studios Ghibli se lancer dans l’animation en 3D, quand bien même il est destiné à la télévision sur l’archipel (et au cinéma par chez nous en juillet 2021 surement parce que le nom Miyazaki est vendeur aux yeux des distributeurs). Autant cela peut attrister de voir un public s’enfermer à ce point là dans une bulle de confort et renoncer à voir un studio évoluer quitte à faire des faux pas ou des erreurs de parcours (surtout que Ghibli n’est pas non plus entièrement irréprochable). D’autant que ce sont ces mêmes faux pas et erreurs qui permettent d’en tirer des leçons pour mieux se relever, après tout comme Alfred l’a dit dans Batman Begins : si nous tombons, c’est pour mieux nous relever.


Mais de l’autre, ce serait de la malhonnêteté de dire que la plupart des reproches et critiques acerbes ne sont pas justifié tant le manque de maîtrise a tout de même de quoi méduser. A peine a-t-on eu le temps d’avoir les premières images puis un premier trailer que cette tentative avait un goût d’expérience ratée voire inachevée tant le retard technique était voyant. Et surtout en constatant à quel point l’identité visuelle du studio semblait si dissonant avec ce passage à la 3D. La confiance ne sera malheureusement pas rehaussée avec la présence de Gorõ Miyazaki à la réalisation, fils de l’illustre Hayao Miyazaki et qui a à son actif un début de filmographie très timide entre un film de fantasy au potentiel inexploité et une histoire d’amour mignonne mais assez quelconque au sein d’une filmographie qui peine à trouver un successeur au maître. Encore plus après le décès d’Isao Takahata et le départ d’Hiromasa Yonebayashi.


D’autant plus que si le cinéma d’animation japonais n’est pas autant adepte que les studios américains pour exploiter le full 3D en film d’animation, il y avait déjà des tentatives maîtrisées esthétiquement par le passé et ce par plus tard que l’an passé avec Lupin III : The First. Même 7 ans plus tôt avec Albator le corsaire de l’espace et sa transition en 3D la réussite graphique est là. Et le plus triste dans cette histoire, c’est que si la patte visuelle est une tâche constante sur ces 1H20, elle est loin d’être le seul problème qui parasite tout le film même si beaucoup de problème partent de là.


La première faute de Gorõ Miyazaki et de son équipe ont été de croire qu’il suffirait de transposer le style Ghibli à l’animation 3D pour que ça puisse passer comme une lettre dans une boîte postale, avec ces plans contemplatifs de quelques secondes que ça soit sur des paysages, un élément du décor ou simplement un décor d’intérieur, le design des personnages avec leurs formes et leur excentricité visuelle, ou encore le mouvement de diverses actions. Car tout cela perd intégralement de leur effet dés la première séquence de poursuite.


Graphiquement toutes les textures ont minimum une quinzaine d’année de retard minimum, voire plus d’une vingtaine : les décors comme l’herbe, les branches des arbres ou les fleurs font carton-pâte et donne une impression stop-motion désagréable et inabouti, le mouvement des personnages ne semble jamais naturel tant la mécanique et la gestuelle des bras, des jambes ou mêmes des lèvres se ressent et les font passer pour des pantins à qui la fée bleue aurait donné vie à la va-vite, et les plans contemplatifs et comportant la marque de fabrique Ghibli semblent mort à l’intérieur tant il y a toujours moult détail qui ne vont pas. Rien que le premier sur la mère d’Aya en train de contempler l’orphelinat en tenant sa fille dans ses bras, sa coupe de cheveux semble fixée de manière à ne jamais bouger d’un centimètre même quand elle se déplace. Ce qui rend encore plus faux ce qu’on regarde, alors que c'est une contrepartie qu’on accepte plus facilement avec une animation 2D (quoique).


C’est compréhensible d’avoir des couacs quand on tente la nouveauté, mais là il y a une affreuse rencontre entre fainéantise et absence de maîtrise. Surtout quand on modélise des personnages humains encore moins crédible que Al dans Toy Story. Même l’éclairage donne un rendu souvent très moche (voire Aya en gros plan avec un sourire sournois et le visage s’assombrissant, très peu pour moi), limite cinématique de Playstation premier du nom ne serait-ce qu’avec ces plans statiques ou évolue parfois un ou deux personnages et un montage platonique en permanence.


Tout cela encore était attendu par beaucoup, mais en ce qui concerne le storytelling et ce qu’allait mettre en image Aya : je tenais à réserver mon jugement pendant les 20 premières minutes. Certes ça n’est pas par la qualité graphique que le film allait se distinguer mais il y avait un minimum de potabilité dans le quotidien d’Aya au sein de l’orphelinat, jouant de petite manigance innocente pour animer ses journées et soirées avec ses camarades orphelins. Du moins c’est ce que je m’étais mis à croire mais il ne faut pas attendre plus d’un quart d’heure pour voir le changement de quotidien s’imposer et hormis Aya, Gorõ Miyazaki ne s’est pas fatigué à mettre grand monde plus en valeur, pas même Custard l’ami froussard d’Aya. Et ne semble pas non plus se fatiguer davantage à montrer Aya persistante pour rester à l’orphelinat lorsque la sorcière Bella Yaga jette son dévolu sur elle alors qu’il y a à peine quelques instants la fillette montrait son aversion à se faire adopter par des adultes considérant les enfants comme des poupées (selon ses termes).


Mais tout va basculer dans une interminable et lassante routine de 40 minutes dés qu’Aya, Bella Yaga et Mandrake arriveront à la maison de la sorcière ou, passé un marché en toc entre la fillette et la sorcière, Aya et la sorcière va sombrer dans un schéma de répétition ou on cherchera tout simplement à comprendre ou ça va mener : Aya est exploitée pour les tâches ingrates par une Bella Yaga bougon et tyrannique, elle ne tarde pas à lui demander rapidement quand elle apprendra à utiliser la magie et bien sûr elle refuse, et le soir Aya joue les exploratrices ou les curieuses pour améliorer sa situation et comprendre ou elle est tombée. Et ce pendant plus de 40 minutes de film qui ne fait même pas 1h20 dés qu’on a retiré le générique de fin et le générique d’ouverture.


Soyons honnête, aucun film sur une courte durée ne peut se permettre de raconter si peu. Surtout quand une telle répétition n’apporte rien en termes de développement chez une galerie de personnage désormais réduit qui ne semble plus avoir grand-chose à se dire ou presque. Car les caractères des personnages en deviennent problématiques : soit ils ne sont jamais suffisamment démontrés, soit ils se répètent pendant ces 40 longues minutes qui tourne comme un manège à répéter la même formule. Et on croirait voir le quotidien d’une famille mal reconstruite tant aucun ne réussit à être attachant ou intéressant dans sa conduite ou ses motivations : Mandrake semble trop souvent extérieur pour ne pas dire indifférent aux événement de la maison sauf très rares apparitions, Bella Yaga ne dépasse jamais le statut de mégère de service tyrannique tout juste soucieuse de faire son boulot convenablement et assurant le strict minimum pour héberger Aya, et cette dernière devient vite irritante et capricieuse, en plus de souffrir d’une comparaison inévitable avec Kiki de Miyazaki père, et même involontairement flippante à force d’être si expressive puisque graphiquement ce film ne parvient jamais à rendre naturelle les expressions faciales ou les mouvements.


La seule intrigue, celle autour duquel le film laissait planer un vent de curiosité bienvenu,


c’est sur l’appartenance de Bella Yaga et de la mère d’Aya sur un groupe de musique, Earwig, qui aurait connu la renommée par le passé. C’était même, je pense, l’un des points qui intriguaient et autour duquel il y avait moyen de construire quelque chose de consistant et d’au pire montrable, au mieux divertissant pour sauver les meubles cassés sur le plan graphique. D’autant que ce passif n’est pas le fruit d’un trio de femme, mais également de Mandrake qui semble nostalgique (en témoigne la découverte de sa pièce secrète par le trou dans le mur fait par Aya).


Sauf que ce genre d’intrigue qui fait un fil rouge directeur, c’est en principe en fin de premiers tiers qu’on le présente ou alors tout début du deuxième tiers... et non pas au bout d'une heure de film comme ici ! Surtout quand il ne reste même pas 20 minutes de film après cela et qu’il n’y a plus le temps de raconter quoique ce soit. On est peut être pas dans Valérian de Luc Besson en terme de gâchis mais quand la clé même d’une intrigue n’est délivré qu’en fin de film, et que ce dernier n’a rien eu à conter ou presque pendant plus de la moitié de son temps, c’est affligeant en terme de storytelling et incompréhensible même venant d’un réalisateur au talent de conteur limité comme Miyazaki fils.


Parce qu’en dehors de cela, ça raconte quoi ? Les manigances d’Aya pour obtenir une situation plus confortable dans sa nouvelle vie ? Le métier de sorcière au sein d’une société moderne passant des années 50 avec Kiki au années 90 dans le cas présent ? Non, même pas, le film s’en fiche éperdument ou alors l’utilise comme ellipse au pire moment possible pour sauter tout, et je dis bien TOUT, ce qui aurait mérité d’être raconté : l’apprentissage d’Aya à la sorcellerie, son rapport avec Bella Yaga et Mandrake, sa situation qui passe de simple paire de bras supplémentaire à chouchoute apparent de la maison, sa vie en extérieur en dehors de son travail chez Yaga, ses amis de l’orphelinat dont Custard en premier lieu… NIET ! Rien de tout cela ne sera abordé, et sera éclipsé par la voix off d’Aya qui résume la grande partie de tout cela en une transition qui achève cet essai d’être aussi bien creuse narrativement qu’involontairement méprisant pour le public.


Et cette direction incompréhensible se retrouve dans un doublage japonais qui finit par être assez médiocre par la même occasion : en premier lieu avec Kokoro Hirasawa qui a une voix trop mûre pour Aya, manque singulièrement d’énergie et de conviction dans son jeu de voix pour réussir à être crédible dans la peau de la fillette (et mieux vaut pas parler de ce que ça donne quand elle se met à glousser tant ça sonne anti naturel). Shinobu Terajima se contente de jouer la caricature qu’est Bella Yaga, et Etsushi Toyokawa en Mandrake s’en tire à peine mieux que le reste des comédien (et j’ai pas la patience de voir ce que vaut le doublage belge sur ce film). Est-ce un souci de direction d’acteur ou bien du aux limites de caractérisations des personnages ? Peut-être des deux à mon avis.


Cela est encore plus embarrassant à voir que cette même année 2021 est marqué par la sortie de plusieurs mastodontes américains dans le domaine de l’animation que ça soit au cinéma ou sur les plateformes streaming, crise sanitaire oblige : d’abord Raya et le dernier dragon de Walt Disney Animation Studio qui continue d’affirmer le talent de conteur de ses artistes ainsi qu’Encanto en fin d’année, Les Mitchells contre les Machines qui confirme la bonne reprise en main de Sony Picture Animation, Pixar proposera Luca d’ici peu en tant que film estival et même Dreamworks sortira le très tardif Les Croods 2 d’ici peu. Et cela sans parler du retour de Masaaki Yuasa dans nos salles en septembre prochain avec Ride your Wave et de Belle de Mamoru Hosoda qui sort actuellement sur l’archipel. Tandis qu’à côté, Ghibli fonctionne au pas d’escargot en continuant à se reposer sur leur modèle phare qu’est Hayao Miyazaki. Et que le fiston ne cesse de décevoir un peu plus en confirmant ne pas avoir le dixième de talent de son paternel, en plus d’afficher un je m’en foutisme alarmant sur sa dernière création (dernière création du studio qui ne sortira au cinéma que chez nous et qui risque d’en faire déchanter beaucoup).


J’aime à penser que c’est ni plus ni moins qu’une grosse erreur de parcours parce qu’à l’origine, quiconque ayant vu au moins deux ou trois films Ghibli sait que ce ne sont pas des incompétents qui prend les gosses pour des portes-feuilles comme Illumination Entertainement, ni un studio inégal comme Dreamworks Animation. Et que tout ne repose pas que sur Hayao Miyazaki en termes de filmographie. Mais quand le film se conclut sur un cliffhanger digne d’un épisode télé d’animé japonais en rushant le parcours d’Aya, c’est qu’il y a vraiment eu quelque chose qui n’allait pas (et puis sérieusement, même la dernière saison de Fruits Basket sur petit écran ne rush pas à ce point là son ou ses intrigues).


Aya et la sorcière est un essai qui se plante bien trop souvent pour qu’on en retienne grand-chose de positif. Et auquel je ne mettrais pas moins en raison de sa destination initiale, la télévision quand bien même ça ne passerait pas même pour ce format. Esthétiquement c’est très très en retard, la galerie de personnages est transparente et fade, le récit dénué d’enjeu ou même de rythme et d’un véritable propos, ça ne vit jamais et personnellement ça me donne une très bonne raison pour contredire ceux qui fusillent les derniers films d’animation Disney (surtout quand on parle de manque d'âme sur Raya ici et là parmi les retours négatifs). Au point que ça en est triste de devoir se reposer, une énième fois, sur Hayao Miyazaki et sa prochaine création alors qu’il a déjà tant fait pour Ghibli dont l’avenir ne sent pas vraiment bon le takoyaki ou le cerisier en fleur.

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