En ce début de Quinzaine, certains films comment à faire parler d’eux et à attirer l’attention. Préférant profiter des séances du lendemain auxquelles j’au facilement accès, je me sers donc généralement des retours des séances « du jour » pour me guider dans mes choix. Et, avec Les Misérables, Bacurau faisait partie des noms récurrents. Un voyage des plus étranges dans la campagne brésilienne commence alors.


Bacurau est un petit village qui vit paisiblement au milieu de la nature, relativement coupé du monde. La matriarche de la ville vient de décéder, et Bacurau est en deuil. Rapidement, et soudainement, des inconnus font leur apparition autour de la ville, et des disparitions et des morts suspectes ont lieu. Au-delà de cela, les habitants finissent même par découvrir que Bacurau a été rayée de la carte. Quelle est la source de ce mystère ? Que se passe-t-il ? Pourquoi un petit village sans histoires se retrouve ainsi dans la tourmente ? C’est ce que nous découvrons progressivement, avec un film assez étrange (dans le bon sens du terme) et, surtout, qui véhicule un message fort.


Le film débute sur une longue phase d’exposition, qui vise à nous familiariser avec le mode de vie de la campagne brésilienne, et avec les habitants du village. Ce n’est que dans un second temps que le film change de ton et se met à alterner entre les villageoises et les tueurs. Il y a donc, pour le spectateur, un certain temps d’acclimatation, la nécessité de suivre pour cerner le contexte et les enjeux, qui peut soulever quelques soucis de rythme. Cependant, dans ce second acte, le ton change brutalement pour quelque chose de bien plus violent et particulier. Progressivement, Bacurau s’aventure dans les codes du western, les croisant avec des éléments de science fiction, de fantastique, d’horreur et de thriller pour donner vie à une large et singulière allégorie sur la vie des populations rurales brésiliennes.


En effet, notamment lors de ce « second acte », si l’on peut le désigner ainsi, Bacurau mélange et croise les genres pour un résultat aussi intéressant que déroutant. Étrangement, des éléments créent une sorte de dissonance avec l’ambiance générale du film, comme cet étrange drone-soucoupe volante, ou l’attitude des tueurs. Une dissonance pas forcément rédhibitoire, car elle vient surtout illustrer cette sensation d’intrusion vis à vis des villageois et souligner les mauvaises intentions de la superpuissance américaine. Car, derrière cette intrigue de chasse à l’homme se cache un discours engagé et révolté contre la destruction des forêts et la soumission du gouvernement brésilien envers la pression économique et l’interventionnisme américain. Un cri d’alarme qui fait écho à celui de Ladj Ly dans Les Misérables, autre film en compétition à Cannes, qui semble se placer sous le signe de la détresse et de l’urgence.


Bacurau est un film assez étrange, et cette étrangeté est autant source de qualités que de défauts. On peut regretter, par exemple, le manque d’éléments de contexte au sujet des tueurs, de ce fameux système de points par exemple, mais peut-être était-ce pour laisser au spectateur le soin de réfléchir par lui-même. Le film n’hésite pas non plus à jouer la carte du grotesque, au risque d’être pris au premier degré, ce qu’il faut ici éviter autant que possible. On retiendra surtout de Bacurau une volonté de proposer quelque chose d’original, une capacité à faire passer un message, et à marquer le spectateur d’une manière ou d’une autre, ce qui est déjà tout à fait satisfaisant.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Vus en 2019 : Aventures cinéphiles, Les meilleurs films de 2019 et Festival de Cannes 2019

Créée

le 18 mai 2019

Critique lue 1.9K fois

9 j'aime

5 commentaires

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

9
5

D'autres avis sur Bacurau

Bacurau
limma
7

Critique de Bacurau par limma

En prenant pour exemple un petit village du Nordeste du Brésil disparaissant des cartes, sans réaction du monde ni vraiment de ses habitants, confrontés depuis toujours à une certaine solitude, ...

le 8 avr. 2020

27 j'aime

10

Bacurau
Velvetman
7

Résistance

Le 72ème Festival de Cannes continue à défeuiller son programme. Après Les Misérables de Ladj Ly, c’est au tour de Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles de s’ouvrir à nous. Une...

le 28 sept. 2019

25 j'aime

3

Bacurau
Garrincha
8

Le village des damnés

Nous sommes dans un futur très proche. Tout le Brésil est occupé par l’empire techno-capitaliste… Tout ? Non ! Un village du Nordeste peuplé d’irréductibles locaux résiste encore et toujours à...

le 25 sept. 2019

21 j'aime

2

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

74 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

42 j'aime

5