Nous nous attaquons ici à l'une de mes oeuvres favorite. Celle-ci est en partie responsable de mon amour pour le média cinématographique.
Le premier Batman sorti en 1989 ayant fait un monumental carton, il était évident que la Warner Bros allait tout faire pour réitérer l'exploit économique et critique en mettant en chantier une suite.
La "bat-mania" s'est emparée des foules et ce n'est donc pas le moment de laisser retomber cette nouvelle poule aux oeufs d'or. Le scénariste Sam Hamm se lance donc dans l'écriture d'un script en exploitant le personnage d'Harvey Dent, joué par Billy Dee Williams, censé devenir double face. C'est cependant la Warner qui imposera de choisir le Pingouin et Catwoman pour le film. Le scénariste produira une première version d'histoire, mais qui s'avérera mauvaise. Tim Burton est alors rappelé par la production afin de réaliser cette suite.
Le réalisateur hésitera tout d'abord beaucoup, le tournage du premier film ayant été pour lui extrêmement compliqué psychologiquement, il considère d'ailleurs Batman 1 comme une oeuvre non personnelle.Burton acceptera finalement et négociera alors une totale liberté artistique sur le projet et engagera notamment Daniel Waters comme nouveau scénariste. Le tournage est finalement prêt à être lancé pour un film se voulant résolument différent.


Le récit présenté est le suivant (attention à partir d'ici aux spoilers éventuels) :
La veille de Noël, Batman (Michael Keaton) se retrouve aux prises avec deux nouveaux ennemis. Le Pingouin (Danny Devito), tentant de prendre le contrôle de Gotham, et Catwoman (Michelle Pfeiffer), qui ne laisse pas indifférent le justicier masqué.


Nous constaterons très vite que le long-métrage se veut extrêmement différent de son prédécesseur. Tim Burton modifie l'architecture de la ville tout en gardant des décors faisant référence aux travaux de Fritz Lang sur Metropolis (notamment dans le design de la tour Schreck). La ville reste très sombre, tortueuse et effrayante dans son immensité.
Le cinéaste conçoit les deux méchants principaux à sa sauce en leur offrant une vision assez éloignée du matériau de base.
Il crée donc ses designs burtonien et modifie les origines des personnages. Catwoman sera à l'image du monstre de Frankenstein, un être recousu après sa mort. De son côté le Pingouin trouvera son inspiration dans un poème que le cinéaste aura écrit bien avant : Jimmy, the Hideous Penguin Boy. Burton en fait une être profondément tragique.


Une nouvelle fois, le réalisateur souhaite s'attarder principalement sur les méchants, Batman étant pour lui une figure de l'ombre ne cherchant justement pas à être vu (ce qui ne le rend pas moins fascinant). Influencé par les écrits de Charles Dickens et surtout par l'expressionnisme allemand, il conçoit des êtres rejetés par une société avec laquelle ils ne sont pas en adéquation, des "freaks". En plus d'offrir une origine presque biblique au Pingouin, le personnage suit le même parcours du Nil que Moïse et réapparaîtra 33 ans plus tard à l'image du christ. Par ce schéma, Burton choisit d'en faire une figure tragique. C'est le personnage de Max Schreck (créé spécialement pour le film et incarné par le génial Christopher Walken) qui le propulsera hors des égouts, le Pingouin a en effet découvert des projets compromettants sur l'homme d'affaire. Schreck va essayer de faire du monstre le nouveau maire de Gotham et de continuer ses affaires criminelles dans l'ombre. Le personnage de Walken est froid, calculateur et à l'apparence proche d'un vampire (son nom est d'ailleurs une référence explicite à celui de l'acteur incarnant Nosferatu dans le film de 1922 de Murnau). C'est autour de cet antagoniste que les différents personnages principaux s'arqueront, il est le vrai méchant du métrage.
Catwoman est directement créée par Schreck qui la pousse dans le vide alors qu'elle découvre ses sombres desseins. Elle est tout d'abord une femme soumise par une société machiste et écrasante, elle n'est pas en accord avec son univers. Burton choisira d'ailleurs de filmer Michelle Pfeiffer lors de ses premières scènes comme une intrusion dans le cadre autant pour les personnages que pour les spectateurs.


Après sa résurrection, celle-ci sera donc une figure luttant contre l'oppression, mais tout en laissant ressortir sa part animale habitée par le chaos et la vengeance. La séquence où Sélina ravage son appartement est d'ailleurs l'une des meilleures du film, sa fureur et sa tristesse se font brillamment ressentir. Le tout est grandement aidé par la magnifique bande originale de Dany Elfman qui nous offre certainement l'une de ses meilleures compositions.


Burton propose une réalisation bien supérieure au volet précédent : ses plans et sa façon de filmer les décors et personnages se montre autrement plus libre et expérimenté que par le passé. Il est explicitement influencé par la façon de filmer d'Orson Welles et notamment avec son Citizen Kane (qu'il référence directement en ouverture de film). Il utilise une manie courante dans sa filmographie qui est d'annoncer les événements à venir.
La scène d'introduction nous montre le Pingouin bébé dans une caisse attrapant un chat, annonçant la rivalité entre lui et Catwoman. Nous pourrions également évoquer la séquence de discussion houleuse entre Sélina et Schreck, la jeune femme a des ombres d'oreilles de chats sur ses yeux projetées par ses lunettes. De la même façon, le personnage de Walken a un chien empaillé posé derrière lui alors qu'il déclame la célèbre réplique : "Vous savez, on va être comme chien et chat vous et moi". Ces éléments sont nombreux au sein de l'oeuvre.


Il est temps d'aborder la vision du cinéaste qui, une fois comprise, retravaille entièrement notre rapport à l'oeuvre. Burton va réaliser ici un long-métrage se situant dans une démarche et un hommage profond à l'expressionnisme allemand. Il est évident que le cinéaste est fasciné par ce mouvement cinématographique. Pour rappel, celui-ci était initialement appliqué à la peinture. Il se caractérise par des thématiques telles que la tyrannie, le vampire, la folie et on y retrouve un aspect visuel pictural totalement assumé. De plus, nous pouvons visualiser une résurgence du romantisme et de la tragédie dans un monstre peuplé par le mystère. Cela s'applique complètement au long-métrage de Burton qui dévoile une esthétique héritée du caligarisme et de Murnau (l'expressionnisme au sens strict et au sens large). Le Cabinet du Docteur Caligari (1920) de Robert Wiene est d'ailleurs référencé à plusieurs reprises explicitement dans Batman Returns.
J'en prends pour exemple la fuite du pingouin sur le pont qui est un hommage à la fuite du savant fou dans le métrage de 1920. Il en va de même par le visuel qui est fortement influencé par l'expressionnisme et qui fait référence à beaucoup d'oeuvres du genre comme le Nosferatu de 1922.


Burton montrait son attirance pour ce mouvement déjà dans ses oeuvres précédentes, citons Beetlejuice ou, de manière plus générale, l'omniprésence de la mort dans son cinéma. Mais le fait est que Batman Returns va encore plus loin dans cette démarche et l'embrasse complètement. Tous les personnages semblent hériter du caligarisme (DeVito en tête) et des travaux de Fritz Lang. Max Schreck, de son côté, ressemble à mon sens au terrifiant hypnotiseur Dr.Mabuse (trilogie que je vous conseille grandement).
La mort est tellement omniprésente dans la filmographie du cinéaste que même le "Returns" du titre VO parle du fait que les personnages ont tous connu la mort à leur façon. Le trio Batman/Catwoman/Pingouin est à associer à un groupe de monstres de foires, des"freaks". Ce sont des êtres humains ayant un comportement animal (jusque dans leur surnom faisant référence à une bête précise). Le fait est que, finalement, on y retrouve le concept de la logique de la douleur et de la cruauté du film Freaks, la Monstrueuse Parade de Tod Browning (les hommes de main du Pingouins ressemblent d'ailleurs à ces troupes de spectacles de monstres).
Nous sommes face à des êtres cherchant à être acceptés, cependant rejetés par l'être humain traditionnel. Max Schreck, véritable antagoniste du film selon moi, vient donc tenter de détruire ces êtres ne correspondant pas à la norme.


Batman a choisi d'utiliser sa part animale pour lutter pour la justice et agir selon des principes lui semblant justes. Il sait qu'il ne doit pas être aperçu, car la différence choque, il sera d'ailleurs le premier suspect lors d'un meurtre commis par le Pingouin du fait de son anormalité. Oswald Cobbelpot vivra de son côté une sorte de rédemption dans la politique avant de sombrer dans le chaos et d'embrasser son animalité. Il en résultera sa volonté à faire payer l'Homme. Le personnage est touchant, il est traumatisé par la tentative d'infanticide et l'abandon de ses parents. Le voir perdre toute humanité en fin de long-métrage ne peut pas nous laisser indifférents. Le cinéaste vit à travers ses personnages anormaux et s'y identifie.


Finalement, que dire de ce Batman Returns ? Le film est d'une richesse telle que l'analyser par écrit constituerait un ouvrage énorme, tant il est facile de s'y perdre. Beaucoup d'éléments sont évidents comme les acteurs totalement possédés par leur personnage, la bande originale ou bien encore les décors et visuels mémorables. Tim Burton offre probablement son univers le plus noir et la vision la plus sombre de lui-même. Il n'en reste pas moins que, à mon sens, il réalise ici un immense chef-d'oeuvre inclassable dans le temps. Une oeuvre filmique d'un cinéphile pour cinéphiles dépassant probablement tout ce qui a été fait en terme de cinéma super héroïque d'auteur. Les scènes d'actions sont quasiment inexistantes au profit d'une profonde poésie et d'une déclaration d'amour à l'expressionnisme allemand, mais aussi au cinéma dans son ensemble. La première projection du film peut s'avérer étrange tant le métrage ne s'apparente pas à la norme. Cependant, une fois que nous apprenons à connaître vraiment la psyché du cinéaste, plus jamais un visionnage de Batman Returns ne laissera le spectateur indifférent. Ce second volet sur les aventures du chevalier noir reste un monument de cinéma et la meilleure oeuvre de son auteur à ce jour.

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