Les grosses productions cinématographiques russes des années 2010 ne sont pas légions à avoir atteint nos frontières, Battle for Honor – La Bataille de Brest-Litovsk y est parvenu en 2011 sous la forme de Direct-to DVD. Relatant une bataille de la seconde guerre mondiale opposant URSS et IIIème Reich avec un bon budget derrière pour que le grand spectacle soit à la hauteur du drame humain qui l’accompagne, Aleksandr Kott réalise-là un long-métrage ambitieux, lui qui fut à l’origine plutôt de séries TV et de court-métrage à ce moment-là de sa carrière.
Un ressort narratif très commun est utilisé pour lancer le film, montrer la paix, la joie, l’insouciance dans un film où on a déjà annoncé par tous les moyens (l’affiche, le trailer, le texte d’introduction, le titre…) que ça n’allait pas durer bien longtemps. Le défi d’y présenter rapidement mais effacement les principaux protagonistes et de créer un attachement envers eux est plutôt bien relevé avec la présentation de leur famille, de leurs moyens de divertissement… en quelques phrases et situations bien choisies, comme l’officier disant à sa famille pour blaguer qu’ils sont plus difficiles à gérer qu’un régiment.
Et quand la guerre arrive : un fils pleurant sur le corps de sa mère calcinée, une foule de civils se transformant sous les balles en pile de cadavres, un soldat se retournant face caméra dévoilant ses extrêmes brûlures au visage, l’exécution de sang-froid d’un prisonnier sans défense, une attaque suicide en désespoir de cause… S’il y a bien une chose qu’on ne peut reprocher au long métrage c’est la brutalité du conflit qu’il s’est efforcé de retranscrire avec respect sous ses faux airs de divertissement hollywoodien.
Ces airs viennent aussi d’autres qualités comme le montage très bien adapté aux différentes batailles simultanées, à l’alternance entre des phases d’action et des phases de tension… Par ailleurs, entre des plans-séquence, à l’envers, aériens, à la surface de l’eau… la mise en scène est très réussie et assez élaborée la plupart du temps. On peut juste noter éventuellement une légère surutilisation du ralenti à des moments qui ne le justifient pas spécialement pour moi, mais ça reste anecdotique.
Tourné sur les lieux-mêmes du conflit historique, pour une authenticité appréciable, les décors contribuent parfaitement à illustrer la situation désespérée du conflit avec un travail sur la photographie, la lumière, la fumée… offrant des plans esthétiques impressionnants à mes yeux. L’implémentation de plans surnaturels comme un homme décapité brandissant une torche dans les airs et guidant des soldats russes marchant dans la brume et la désolation la plus totale vers une mort certaine, la symbolique est lourde et passe par cette image très soignée.
Le maquillage profite aussi de ce soin avec la poussière et la boue, les bandages ensanglantées, les cicatrices apparentes, les brûlures… qui marquent les visages des soldats au fur et à mesure que le récit est de plus en plus dur. L’allure usée et désespérée qu’affichent les acteurs, y compris enfants, est particulièrement notable et ça s’accorde parfaitement avec l’horreur du récit qui est dépeint. J’ai beaucoup apprécié le jeu d’Aleksandr Korshunov que j’ai découvert avec ce film, une espèce de charisme naturel s’en dégage avec cette impression qu’il essaie toujours de retenir ses émotions devant ses hommes auxquels il veut insuffler le courage dont ils ont si besoin.
L’OST, composée par Yury Krasavin, est particulièrement efficace pour poser des ambiances mélancoliques avec ses voix lancinantes appuyant un drame intense alors que les morts fusent aussi vite que les balles. L’utilisation d’une mélodie façon tic tac annonçant l’arrivée d’une attaque marche également très bien pour installer la tension et la faire croître progressivement. Il n’y a pas vraiment de thèmes héroïque notable pour un film de guerre mais c’est sans doute un choix pour accentuer l’aspect dramatique du récit je pense. Sur la forme, tout ça est donc excellent, mais concernant l’écriture il y a tout de même quelques limites.
Un manichéisme très fort entache ce récit qui prend clairement le parti des russes, de façon assez logique compte-tenu de l’Histoire et de la nationalité du film, particulièrement en montrant les allemands comme une armée d’envahisseurs qui n’auront jamais droit à d’autres dialogues que des ordres vociférés, à aucune autre action que celle de tuer ou de s’y préparer... Le ton était déjà annoncé avant que le film ne démarre avec un hommage rendu à l’héroïsme des défenseurs de la forteresse, la dimension humaine des soldats allemands est complètement occultée, c’est tout de même dommage malgré le fait que ce traitement soit assez logique.
Autre chose qui justifierait ce manichéisme, c’est la façon même dont a été traité ce conflit par la propagande soviétique qui se l’est réapproprié pour montrer l’image d’un soldat russe sans peur face à la menace fasciste semblant invincible et solidaire de ses camarades d’autres nationalités, un aspect malheureusement peu évoqué par le film. Néanmoins, le film reste honnête sur les erreurs stratégiques soviétiques grossières et la confiance en l’Allemagne nazie, rien qu’avec cet officier dont on lui reproche de les remettre en question avant que la guerre éclate.
Un autre défaut de l’écriture, moins justifiable pour le coup, c’est que beaucoup de personnages féminins s’avèrent très passifs, en dehors de Shura qui est très secondaire, elles sont souvent victimes de l’action, à l’écoute des russes hommes et à la merci des allemands en ne s’affirmant que peu, ça aussi ça fait un peu tâche sur l’écriture. Je ne demande pas que toute l’armée soviétique soit remplie de femmes, mais simplement que les plus importantes du récit contribuent au moins un peu à faire avancer l’intrigue, s’affirment avec une personnalité forte qui leur est propre… là on en est loin quand même et ma sympathie pour le film ne doit pas me le faire oublier.
La facilité d’écriture avec la voix-off qui décrit des situations qui étaient très explicites sans elle et qui donne des informations intéressantes mais qui auraient pu être montrées de manière plus subtile est un peu regrettable également, sans que ça ne me sorte du film non plus. Ça spoile aussi la survie du protagoniste principal bien sûr mais par contre ça amène à un très joli final sur le devoir de mémoire, le but principal annoncé par le film à son début, justifiant totalement ce fil rouge, c’est le cas de le dire.
Le réalisateur confirme ces intentions dans le making-of du film :
Ceux qui ont vu comment c’était pour de vrai ne disent rien. Ils ne parlent toujours pas et je pense qu’ils emporteront ça avec eux. Mais cette note de douleur, de désespoir, de peine je pense que nous l’avons ressenti et nous avons voulu la transmettre.
Que ce soit par son jeu d’acteur impliqué, son travail de photographie et musical de grande qualité, ses scènes d’action grandiloquentes, son drame des plus intenses… Battle for Honor est un film de guerre au parti pris patriotique discutable mais assumé que j’apprécie surtout pour sa réalisation de haute volée et l’authenticité de sa démarche. Si vous êtes amateur de films de guerre, je pense qu’il s’inscrit parmi les films à voir de son époque malgré les limites de son écriture.