Comme beaucoup, j’ai découvert et jugé Battle Royale à l’aune de mon adolescence, m’extasiant devant une sorte de film trash et exotique interdit que l’on regardait en cachette avec des copains pour mieux en discuter benoîtement à la cour de récré. A l’époque on trouvait ça rigolo ce concept, cette violence exacerbée, ces personnages criards qui lâchent des vannes tout en zigouillant leurs potes de la veille.
A revoir l’oeuvre de Fukasaku quelques vingt années plus tard, en ayant meilleure connaissance du cinéaste et de Kitano, en ayant mesuré l’impact du film sur la culture (d’un genre entier du jeux vidéo à une palanquée d’ersatz allant de Hunger Games à Squid Game), le constat est tout autre. Ce qui m'a fait rire hier me fait grincer aujourd’hui dans la cruauté et le désespoir affichés. Une satire féroce qui signe la fin de carrière d’un cinéaste anar dont le côté punk transparaissait déjà dans Violent Panic: The Big Crash en 1976.
Tout le film transpire le cynisme désabusé d’un vieux monsieur qui en a trop vu pour encore oser espérer. De cette jeunesse désaxée à la solution trouvée par la classe politique pour la mater, en passant par la présentation des règles du jeu façon bimbo kawaii qui renvoie à l’extravagance hypocrite des médias populaires nippons, ou encore par le zèle de militaires trop enjoués à flinguer des gamins, tout schlingue dans ce monde de merde.
Il n’y a que Kitano, personnification de Fukasaku, qui ne semble prendre aucun plaisir. Ni dans la dérive sociétale d’une génération sans valeurs, ni dans le jeu de massacre orchestré sans ciller. Le professeur se sent seul, jusque dans les rêves de son étudiante la plus équilibrée. Qu’importe la tripaille, qu’importe la survie, tout cela n’a pas grand sens. Qu’ils crèvent donc, et que lui meurt aussi, ce monde est de toute manière condamné par sa folie.
Un pamphlet à peine caricatural qui, loin de simplement se complaire dans la violence graphique, atteint surtout par son côté sans issue. Un message profondément pessimiste que le culte semble avoir effacé au profit d’un high concept bien plus racoleur. Ou comment une œuvre initialement underground a été récupérée par le système qu’elle voulait dénoncer. Cynisme, cynisme…