Dead again
Cela fait plus de vingt ans que les pisse-froids nous assènent que Tim Burton est décrété mort pour la cause cinématographique et que son dernier bon film, c'est Sleepy Hollow : La Légende du...
le 13 sept. 2024
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Tim Burton était un artiste, il est devenu artisan. Il avait une identité visuelle, il est devenu une marque. Son cinéma était poétique, il est désormais factice. Pourtant cela avait bien commencé.
Il y a environ 35 ans, un gringalet mal de sa peau de Burbank (Californie) provoque une onde de choc avec son deuxième long métrage. Ce gringalet c’est Tim Burton et ce film Beetlejuice. L’histoire fantasmagorique d’une rencontre follement absurde entre les vivants et les morts, une confrontation entre deux mondes comme aime tant le faire Burton. Un jeune et charmant petit couple trouve la mort dans un tragique (et ridicule) accident de la route, les voilà morts mais obligés de hanter leur gigantesque maison au sommet d’une colline, dominant un petit village typique de l’Amérique du nord.
Bientôt, le quotidien de nos charmants jeunes fantômes est bouleversé par l’arrivée d’une famille recomposée venue de New York, le père commercial, venu pour échapper à la vie tonitruante et aliénante de la ville avec sa seconde femme, artiste contemporaine sous valium aussi hystérique que son talent est discutable. Et la fille, Lydia, enfant gothique, toute de noire vêtue, un « être étrange et surnaturelle » éloignée de tout ce qui est vivant. Elle est la seule à pouvoir voir et comprendre les fantômes. Nos fantômes justement, déterminés à faire déguerpir les intrus de leur maison fait appel au pire des personnages, le bio-exorciste déchainé Beetlegeuse. Libidineux et crasseux, il prend l’ascendant sur nos fantômes et décide de marier de force la pauvre jeune Lydia afin d’être libre à jamais du monde des morts ou il sait qu’il n’est pas en odeur de sainteté.
La forme narrative voulue par Burton est simple, confronter deux mondes qui ne se ressemblent pas, ne peuvent pas se comprendre et pourtant créer un pont entre les deux. Souvent aidé par l’apparition d’un monstre ici des deux mondes ou le plus une excroissance de l’autre. Ici l’horrible Beetlegeuse est l’excroissance du monde des morts, enfer bureaucratique kafkaien. C’est aussi là que Burton s’éclate dans son délire esthétique, les couloirs interminables sont tout droit repris du Cabinet du Docteur Caligari, les morts sont colorés, non pas répugnant mais au contraire, des monstres drôles et enjoués. Derrière la monstruosité, il n’y a jamais le mal chez Burton.
Contrairement au vrai monde, celui des vivants, vulgaire carte postale, les vivants à l’image des Deetz sont les véritables monstres : capricieux, égocentrique, borné et hystérique. Mais surtout, totalement fermer d’esprit. Doubles affrontements donc, les morts et les vivants mais aussi la campagne et la ville, les roturiers et les citadins, les prolos et les bourgeois. Voila un autre thème favori de Burton, lui-même le prolo gringalet de la banlieue de Los Angeles, confronté à la grande ville et à ses grandes firmes, son passage à Disney l’a marqué au fer rouge et traumatisé. Ici c’est la confrontation entre les pauvres jeunes Meitland (Alec Baldwin et Geena Davies), petit couple vivant d’amour et d’eaux fraiches dans leur maison, la décoration très cosy et kitsch est balayé par l’arrivé des Deetz, la maison repeinte en blanc, l’intérieur en noir ou en mauve, le mobilier remplacé par les épouvantables création de Delia. Cela parcourt toute l’oeuvre de Burton : Pee Wee, Batman, Edward, Willy Wonka, Ichabob Crane ou encore Ed Wood sont les enfants qui ne parviennent jamais à s’intégrer à ce vrai monde, obligé de se cacher dans un autre monde, sous un masque ou dans une chocolaterie, loin des yeux et loin du coeur.
Tout l’art de Tim Burton repose donc sur cette dualité et cette inversion des choses qui semble normal, la normalité est une monstruosité qu’il faut balayer par l’originalité et aussi par l’amour, la tolérance. Et s’il n’y parvient, le beau monstre vivra mieux, vivra heureux s’il demeure caché à jamais dans son château au sommet de sa colline, ce fut le cas pour les Meitland, pour Bruce Wayne et pour Edward.
Et puis, patatra !…..arrive Big Fish et la claque (la gifle) est monumental, violente et incompréhensible. S’en suit une série de quatre films qui racontent l’exact contraire des quatre premiers de Burton. Big Fish, Charlie et la chocolaterie, Alice aux pays des merveilles et Les Noces funèbres sont là pour raconter que non, il n’est plus normal d’être un monstre, un paria, que ce n'est plus à la société, ni à la réalité de s’adapter aux monstres mais les "anormaux" à s’adapter au vrai monde. Une moralisation soudaine du cinéma de Burton qui atteint un paroxysme gênant dans Alice aux pays des merveilles et son dernier acte tragique (La petite Alice a bien grandie, elle est désormais capitaliste et colonialiste). C'est maintenant de ce misérable Beetlejuice, Beetlejuice qu’il est temps d’aborder et ensuite d’enterrer définitivement Tim Burton.
Lydia et Delia Deetz sont de retour dans leur immense baraque au sommet de la colline pour enterrer le père de famille, mort dans un accident d’avion. Belle circonvolution pour ne pas avoir a rappeler Jeffrey Jones accusé de pédocriminalité. La jeune fille de Lydia, une adolescente chiante et cartésienne est enlevée dans le monde des morts, Lydia doit donc dans un acte désespéré rappeler Beetelgeuse pour la sauver. Cependant, notre bio-exorciste déluré préféré est lui aussi confronter à un problème, son ex-femme…et attention elle n’est pas contente.
Beetlejuice, Beetlejuice promet au départ d’être un réjouissant best-of de la carrière de Tim Burton. En effet, tout y passe, le film n’a aucune autre cohérence de corps et d'esprit que d'etre une vitrine de la marque Burton, c'est un enchevêtrement (paresseux) de clin d’œil au style burtonien, aux figures et personnages qui ont fait la célébrité et l’originalité de l’art de Tim Burton.
Exemple : On retrouve dans le design de l’épouse de Beetlegeuse : les cicatrices et les coutures de Catwoman, de Sally et de la robe de Mrs Lovett. Les monstres n’ont plus rien d’originaux, ils sont une resucée de diverses autres créatures vues dans d’autres films de Burton, à l’image de ce fantôme qui perd la tête dans la salle d’attente du mort vivant, déjà vu dans les Noces Funèbres. Par ici, des fantômes portent les costumes de Tweedle Dee et Tweedle Dum, (déjà recyclé dans Miss Peregrine) ailleurs ce sont les références appuyées à Sleepy Hollow ou Charlie et la Chocolaterie.
Ce qui est certains c’est que cet étalage des figures passées ne fait que renforcer une impression qui prend au corps le spectateur au fur et mesure du visionnage du film, ce n’est pas, ce n’est plus, Tim Burton à la manœuvre mais une IA. Un ordinateur, manœuvré par un commercial diabolique, qui aurait digéré tous les films, tous les dessins, tous les stéréotypes attendus du style Burton et aurait recracher pour ne pas dire régurgiter sur la pellicule un film qui aurait pu être réalisé par Tim Burton. Un exemple simple et évident est l’épouse de Beetlegeuse, incarnée par la sublime Monica Bellucci. Le personnage n'a aucun intérêt. Elle ne fait bouger aucune ligne du scénario déja en roue libre du film, ne fait rien d’autres qu’arpenter des couloirs et des rues pour n’aboutir in fine à RIEN DU TOUT, aucune conclusion satisfaisante au personnage, pas de confrontation avec son ex Beetlegeuse, un dernier round plan-plan grotesque et paresseux. Le comble, le personnage n’a que trois lignes de dialogues dans le film. Pour en revenir à son personnage, elle est un mix peu subtil de Sally et de Catwoman, des femmes poupées de chiffons, recousues et aux caractères bien trempé ( Catwoman déesse vengeresse comme voudrait l’être Delores), vite déterrée et vidée de toute substance pour devenir cette mariée en robe noire vengeresse mais totalement oubliable.
Quand a Beetlegeuse, si son personnage est bien l’élément central du film, c’est la performance de l’acteur Michael Keaton qui est a salué, bien plus que son personnage qui fait du surplace. De même, que le personnage le plus raté du film, la nouvelle gamine de la collection Burton, incarnée par Jenna Ortega, déjà coupable d’avoir incarnée la mythique Mercredi Addams. Ici jeune fille de 16 ans (elle en parait 30), en conflit avec sa mère, qui ne croit pas aux fantômes et qui se fiat enlever par l’un d’eux. Toute une histoire qui aurait dû rester le principal fil du film et qui est finalement réglé vingt minutes avant la fin. En point d’orgue de l’affaire, le personnage déjà transparent ne représente plus le moindre intérêt passé la première partie du film. En revanche, et c’est plutôt surprenant et bienvenue, Catherine O’Hara, grande actrice oubliée des années 90 et 2000 est de retour et c’est un bonheur de la revoir, son personnage autrefois insupportable est maintenant plus attendrissant, évoluant parfaitement et complétant à merveille la seule bonne idée du film.
Beetlejuice, Beetlejuice est la grande fin d’un artiste, un point en fin de phrase, un moment de non-retour, une noce funéraire pour un réalisateur-artiste adoré, à l’imagination débordante, désormais la caricature de lui-même. Burton avait pourtant conscience d’être devenu un robot tout juste bon à ressasser ces oeuvres passés et à se vendre, son propre style étant désormais multipliable à l’infini, c’est qu’il raconte avec lucidité dans Big Eyes, c’est ce qu’il embrasse définitivement avec son retour chez Disney avec Dumbo et assume désormais depuis la série Mercredi sur Netflix. En revenant à son deuxième long métrage mais le premier film qui aura fait de lui une légende, Tim Burton nous dit que la boucle est bouclée. Est-ce pour faire autre chose ? Compte-t-il prendre sa retraite ? Ce serait préférable (idem pour Danny Elfman).
Ce sera donc la dernière fois. La dernière fois que je me rendrais dans un cinéma voir une nouvelle oeuvre de Tim Burton. Quand on aime, on ne peut rester indifférent à une telle décrépitude, une telle sénilité dans l’imagination et la création. Les bandes annonces ont annoncées la catastrophique, nous la subissons maintenant de plein fouet, en pleine figure. Et ça ne fait plus mal, il y a maintenant plus de dix ans, et même vingt ans si on est objectif sur la question, que Tim Burton ne fait plus rien d’intéressant. Tout ces films sans la moindre exception depuis l’abominable Planète des singes est un échec artistique, son Alice est une immondice irregardable, son Dark Shadows n’a sa place dans la catégorie téléfilm Feu de l’amour du dimanche matin sur le replay de ChérieFM, Dumbo est un accident industriel. Tout est oubliable et nous les avons oubliés immédiatement après les avoir vu. Comment
passe-t-on de Batman Returns à Miss Peregrine ? De Edward aux mains d’argent à Mercredi ?
C’est cette indifférence face au vide et à la médiocrité qu’il faut comprendre qu’il veut mieux s’arrêter là, maintenant. Tim Burton est et restera pour moi mon réalisateur préféré. Oui car jamais ne pourrais ces premiers films, son Batman returns, son Edward, son Monsieur Jack, son Mars Attacks, son Ed Wood, son Sleepy Hollow, son Beetlejuice. Charlie et la chocolaterie fut le plus grand choc de mon enfance, un éveil au cinéma, tout simplement. Et c’est pour garder cela, qu’il faut perdre ses illusions sur les œuvres récente de Tim Burton. Le réalisateur n’a plus rien dire, c’est comme ça. Mais ses premiers chefs d’œuvres auront encore des choses à dire et cela pour l’éternité.
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le 27 mai 2025
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