Bellflower est un premier film annonciateur d’une œuvre percutante, surchargée et violente, peut-être même baroque à sa façon. C’est aussi un produit au romantisme crade ; pas enivrant ou subtilement anxiogène : juste crade, gras, banal, authentique, mais tout de même avec la fièvre et la fureur. En effet Bellflower se focalise sur la condition triviale, pas luxueuse mais pas miséreuse non plus, de jeunes nobodies fêtards, innocents et stupides. Le style est original mais ne relève en aucun cas le niveau de ceux qu’il assiste.


Ultra-réaliste, mais avec en renfort une mise en scène sophistiquée, voir maniériste, Bellflower s’expose en œuvre littéralement sensorielle, tout comme ses personnages eux-mêmes ne vivent que dans et par les sens, sans égard pour quoique ce soit qui dépasse le bout de leur nez, sinon quelques fulgurances absurdes (s’embarquer pour le Texas afin d’y rejoindre le restaurant le plus pourri qui soit).


Évidemment la caméra est sans jugement et on peut trouver le film aussi sensible que neutre ou fataliste. Mais sincèrement, cette intimité que vous pouvez pénétrer, n’auriez-vous pas honte de la partager ? Ne seriez-vous pas déçu de vous y retrouver ? Ce mode de vie auquel nous assistons, ce niveau d’existence, cette façon d’expérimenter la vie par le bas, quand bien même ça rendrait allègre et sans contraintes, c’est peu valorisant. Ces personnages peuvent attendrir, mais ils sont pathétiques et leur quotidien ne consiste qu’à esquiver la morosité dans laquelle ils sont pourtant totalement ancrés. Toujours le mouvement là où il n’y a rien d’autre que les petites choses terrestres les plus viles et quelconques. Depuis notre fauteuil, c’est simplement lourd et surtout dommage. Mais lorsqu’on s’imagine pressé d’y être, c’est carrément révulsant, comme de rater non seulement sa vie, mais aussi se rater soi en étant pro-actif que pour accumuler les aventures sans grâce, se répandre dans un abyme d’impulsivité beauf.


On sait toujours que ça va mal tourner. Mais le mal est ailleurs : il n’est pas dans l’horizon finale, il est déjà là, en permanence, dans tout ce que le film nous soumet, dans tout cet océan de médiocrité et de balbutiements criards. Ce n’est pas quand le drame survient que Bellflower est glauque. C’est son sujet, l’environnement de ces gens, qui est intrinsèquement sinistre et ne peut déboucher que sur les catastrophes, dès qu’il quitte le bonheur obligé ou bourrin. Car ces gens-là ne peuvent pas vivre autrement qu’en semant une confusion inutile sitôt qu’il n’y a plus à éructer. Aussi, ce moment du passage à la vie adulte est le meilleur pour eux : ils jouissent d’une liberté optimale, n’ont pas à rendre de compte, peuvent boire, jouir et parler en vain comme ils sont voués à le faire. Mais ensuite, ils chuteront. Seulement dans Bellflower, ils le font rapidement.


Que pense le réalisateur ? A-t-il voulu composer un brûlot »indépendant », un film de »contre-culture » : il en a les penchants. A-t-il voulu dresser le portrait de jeunes américains paumés, en montrant qu’il n’y avait rien pour eux ? Il semble que ce soit tout cela à la fois et si le résultat atteste d’une sensibilité et d’une inspiration profondes, il manque aussi un regard, un jugement. En l’état, nous avons plutôt un compte-rendu affecté, légèrement en panique ; c’est ce qui va rendre le film passionnant à bien des spectateurs, c’est aussi ce qui donne le sentiment d’un »tout ça pour… quoi ? ». Et à cela on peut suggérer : c’est du nihilisme trop aveugle et inconscient pour être honteux, que Evan Glodell accompagne d’un geste triste, emphatique et incandescent.


Contrairement à un film comme Fish Tank qui permettait à son personnage de révéler une certaine profondeur, Bellflower ne montre les siens que tels qu’ils se vivent. L’effet regrettable, c’est qu’on est aux premières loges, voir participe, de cette régression… sans contrepartie. L’émotion posée dessus ne change rien à l’affaire.


https://zogarok.wordpress.com/2015/04/26/bellflower/

Zogarok
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le 27 avr. 2015

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