juillet 2010:

Un bon Chabrol, aidé par la subtilité des univers mentaux que le génial Georges Simenon a coutume de façonner avec tant de finesse qu'il en devient fascinant. N'avez-vous jamais été séduit par cette incroyable capacité à inventer de manière si continue et fertile? Vous m'étonnez. Quant à mézigue, j'en suis baba d'admiration.

Parfois Chabrol se prend au jeu de ses films. Des digressions disgracieuses dénaturent par moments ses scenarii. Or, ce n'est pas du tout le cas à mon sens sur celui-là. Il parvient à maintenir une tension dans le fil conducteur de sa trame qui maintient l'attention du spectateur.

Si l'accès au film est un peu long à s'ouvrir, la mise en place des éléments installe ensuite de manière très efficace les enjeux auxquels se confronte le personnage de Betty. Au début, en effet, la rencontre Marie Trintignant / Pierre Vernier est assez nébuleuse, la situation incongrue, suffisamment bizarroïde pour qu'on songe au conte onirique d'Alice et la dernière fugue. Vers où va cette histoire? Et puis très vite on retrouve un récit plus proche du réalisme, les effets de l'alcool s'estompant gentiment. Le drame que vit Betty se fait jour progressivement au gré de flash-backs de plus en plus édifiants sur les rapports qui structurent cette grande bourgeoisie provinciale si chère au coeur de Cbabrol. Le bougre ne se prive pas en effet de passer à la moulinette l'épouvantable sécheresse affective que ces "gens-là" cultivent de façon si malsaine.

Le ton un peu saccadé, emphatique de certains de ces personnages est peut-être un trop démonstratif et caricatural. Heureusement, le jeu de Marie Trintignant, personnage central est autrement plus naturel et doit me semble-t-il attirer à elle toutes les grâces et provoquer l'essentiel des applaudissements : sa performance est très touchante, mais surtout étonnante de justesse. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas réellement été enthousiasmé par cette comédienne, si ce n'est dans les deux enchantées créations de Salvadori ("Comme elle respire..." et "Cible émouvante") qui mettaient justement en valeur la face comique de sa personnalité en jouant sur les contrastes. Ici Chabrol insiste sur la noirceur de l'actrice, celle que son regard de chien battu évoque, une ombre qui peut facilement laisser place à la clarté d'un sourire. Sur le fil du rasoir. Au bord d'elle même, Betty se situe dans une frange ni noire ni blanche, tout en subtilité entre dépression et liesse amoureuse, entre désespoir d'être séparée de ses filles et la satisfaction plus égocentrique de ses désirs, d'être aimée. On a rarement vu Chabrol scruter aussi profondément l'âme tordue de ses personnages, avec autant de détails et de perfection.

J'aime bien également le soucis du détail narratif dans la mise en scène de Chabrol. Ici une seconde ou deux suffisent pour filmer la vision de Betty, ivre à l'arrière d'un véhicule. Les lumières de la ville dans la nuit, le doux ronronnement du moteur, le léger couinement des essuie-glaces et la silhouette réconfortante de Stéphane Audran : Betty est en sécurité, elle s'abandonne. Et nous, nous entrons véritablement dans l'histoire. Des petits plans comme celui-là qui n'ont l'air de rien mais en disent beaucoup, Chabrol nous en livre quelques autres. A la fin, on se rend compte qu'on est ravi, qu'on a été pris par les personnages et les situations. Le signe d'un bon cinéma.
Alligator
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le 7 avr. 2013

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Alligator

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