Les maux pour le dire
La fiction a toujours été un détour particulièrement efficace pour affronter le réel, ce n’est un secret pour personne : corriger les hommes en les divertissant est un programme établi depuis...
le 28 mars 2019
34 j'aime
4
En plaçant sa caméra au service d’une peinture des pouvoirs thaumaturgiques de la fiction, Robert Zemeckis offre à l’année 2019 un véritable acte de foi dans l’art qui seul est capable d’extirper un homme dévasté du champ de mines qui lui sert de for intérieur, d’extérioriser son mal par le biais de figures et par le prisme de la créativité. Car le petit monde de Marwen parle plus fort, tire plus vite, décuple la puissance dramatique et picturale du réel de sorte à tendre à ce dernier une lanterne magique imagogène autour de laquelle s’attirent, comme aimantées, les bribes de souvenirs encore douloureux et que les scénarios successivement concoctés par Mark Hogancamp développent.
Et en dépit du traumatisme lié aux lyncheurs néonazis – cf. la croix sur leur bras –, le retour à l’Histoire raccorde notre personnage éponyme à l’origine de tous les maux, au méchant par excellence qui n’a de cesse d’obséder l’inconscient collectif : la période de la Seconde Guerre mondiale cristallise à elle-seule tout un imaginaire qui féconde la douleur d’un autre temps, qui lui sert de passerelle entre les barbaries érigée peu à peu au-dessus du gouffre individuel. La fiction se mue aussitôt en échappatoire, en lieu d’une distanciation du moi avec ses traumatismes ; les protagonistes féminins – les plus nombreux – incarnent l’ambivalence du héros, son goût pour les talons hauts. Il dit rechercher l’essence des femmes, c’est-à-dire sa propre essence éprouvée par le prisme de plusieurs personnages qui coïncident tous avec une rencontre, un fantasme, un pan de sa personnalité ombragée. La fiction vient redoubler le réel, elle grossit le trait, envahit l’espace par une musique grandiloquente et de l’action sans arrêt. Le village de Marwen – bientôt renommé Marwencol – résulte lui aussi d’une agglutination, soit l’alliance de trois diminutifs renvoyant aux femmes qui marquent l’existence de Mark.
Avec un budget limité, Zemeckis réussit l’exploit de donner vie à un univers cohérent et techniquement superbe qui oscille entre Toy Story et le film de guerre ; et de cet improbable mélange naît une œuvre qui narre l’agonie d’un artiste heureusement sauvé par la foi qu’il place en son art. Les nombreux clins d’œil aux précédentes réalisations du cinéaste achèvent le rapprochement entre le personnage principal et Zemeckis lui-même, peint sous les traits d’un ancien propagandiste – il dessine la guerre et la bravoure des soldats américains – contraint de renoncer pour plonger en lui et continuer, contre vents et marées, à creuser son sillon artistique. L’indépendance va bien à Zemeckis, et Bienvenue à Marwen, s’il n’est pas exempt de longueurs et d’une certaine lourdeur dans l’application du dispositif vie réelle/vie fictive, le prouve une fois encore.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2019
Créée
le 26 déc. 2019
Critique lue 177 fois
3 j'aime
D'autres avis sur Bienvenue à Marwen
La fiction a toujours été un détour particulièrement efficace pour affronter le réel, ce n’est un secret pour personne : corriger les hommes en les divertissant est un programme établi depuis...
le 28 mars 2019
34 j'aime
4
La première séquence de Bienvenue à Marwen déconcerte : en ce qu'elle ressemble, par son atmosphère et son décor de Seconde Guerre Mondiale à un prolongement de son Alliés, mâtiné de réminiscences de...
le 8 janv. 2019
33 j'aime
8
Alliés (un duo glamour, c'est tout), The Walk (gros flop), Flight (des nominations aux Oscars), trois films loin du standard qualitatif que Zemeckis avait produit 20 ans avant. Avec Marwen, on...
le 21 déc. 2018
22 j'aime
1
Du même critique
Nous ne cessons de nous demander, deux heures durant, pour quel public Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu a été réalisé. Trop woke pour les Gaulois, trop gaulois pour les wokes, leurs aventures...
le 1 févr. 2023
122 j'aime
9
Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...
le 19 janv. 2019
86 j'aime
17
Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...
le 11 sept. 2019
77 j'aime
14